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de la réaction intellectuelle qui saisit leurs rapports. Il en est ainsi même quand une idée en suggère une autre que nous reconnaissons ensuite lui être semblable. Pourquoi, par exemple, l’étincelle électrique éveille-t-elle un certain jour dans l’esprit de Franklin l’idée de la foudre ? C’est qu’il y avait entre ces deux idées une partie commune : lumière subite et choc capable de tuer un animal. Cette représentation de lumière et de choc qui coexiste actuellement, dans la conscience de Franklin, avec l’idée de l’étincelle électrique, y a déjà coexisté souvent avec l’idée de la foudre : c’est en vertu de cette partie commune que l’idée de l’étincelle électrique vient aboutir au souvenir de la foudre, et c’est seulement quand la suggestion a eu lieu que Franklin peut dire : « L’étincelle et la foudre sont semblables. » Les semblables se suggèrent donc mutuellement, sans doute, mais ils ne se suggèrent pas par la conscience de leur similitude ; cette conscience est ici l’effet, que l’intellectualisme prend pour la cause. Seulement, un esprit ordinaire se contentera de remarquer une similitude entre deux idées sans en tirer des conséquences et sans remonter aux principes ; un Franklin, habitué à ce que Platon appelait la chasse aux ressemblances, partira de là pour concevoir sous les contrastes visibles des similitudes cachées et pour les vérifier par l’expérimentation.

Reste à déterminer pourquoi et comment deux images qui se sont rencontrées dans le temps ont pu se lier, surtout si elles sont similaires ? On peut répondre d’abord, avec M. Taine : « l’une étant le commencement de l’autre, nous tendons à passer de l’une à l’autre. » — Mais c’est cette tendance, cette force intérieure des idées qu’il faut expliquer. Pourquoi ne restons-nous pas toujours sur le commencement, sans passer au milieu et à la fin ? Qu’est-ce qui a produit et maintient la synthèse des idées ? La psychologie de l’association, ici, se contente trop du fait brut : dire que deux idées se retrouvent ensemble dans le temps uniquement parce qu’elles s’y sont déjà trouvées ensemble, c’est constater le fait et non l’expliquer. Le temps, à lui seul, ne lie rien : des anneaux qui se suivent dans le temps sans être unis dans l’espace ne forment pas une chaîne. Parfois des images existent ou se succèdent dans notre esprit, comme dans une lanterne magique, sans qu’un lien durable s’établisse entre elles ; parfois même nous sommes étourdis par le pêle-mêle des sensations simultanées ou successives. La synthèse des idées reste donc à expliquer, et, comme elle doit être à la fois cérébrale et mentale, il faut en chercher la vraie explication dans la manière dont le cerveau agit et dont la conscience réagit. Nous verrons alors se réconcilier les deux lois de la contiguïté