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explication de la loi physique elle-même. En un mot, l’élément fondamental en germe dans toutes les cellules vivantes, c’est à nos yeux l’émotion, c’est-à-dire une sensation plus ou moins agréable ou pénible, laquelle provoque la réaction motrice.

De même que les lois biologiques ou vitales, qu’on reconnaît nécessaires pour l’explication du souvenir, sont simplement, à nos yeux, le premier degré des lois psychiques, de même les lois « sociologiques » en sont le plus haut développement, et la considération de ces dernières lois nous semble également nécessaire pour expliquer le souvenir. Nous regrettons que cette considération ne se rencontre point chez. MM. Spencer, Maudsley et Ribot. L’être vivant est, en réalité, une société d’êtres vivans et plus ou moins sentans, comme l’ont montré MM. Schæffle, de Lilienfeld et Espinas. S’il en est ainsi, la conservation des images dans la mémoire doit être en partie le résultat de la coopération entre les cellules vivantes. Comparez, dans la société humaine, les effets du travail isolé et ceux du travail associé : jadis, comme on l’a remarqué, la fabrication d’une montre de précision exigeait un horloger d’une extrême habileté personnelle, qui faisait presque tout à lui seul ; aujourd’hui, une fois le procédé trouvé, il n’y a plus qu’à répartir la confection des diverses pièces entre des ouvriers ordinaires et à ajuster ensuite toutes ces pièces : vous aurez une montre marquant exactement l’heure. L’habitude et la mémoire produisent dans le cerveau quelque chose d’analogue : à l’origine, il faut, dans le centre cérébral, un acte de conscience et d’attention personnelle ; puis le travail se distribue entre les diverses cellules et entre les centres secondaires de la moelle, et il n’y a plus besoin ensuite que d’un rajustement des vibrations diverses pour reproduire sans effort l’image précise de l’objet.


III.

La théorie qui fait de l’émotion le germe de la mémoire nous semble confirmée par les applications qu’on en peut faire et par les éclaircissemens qu’elle fournit dans divers problèmes difficiles. Le premier de ces problèmes, c’est le rapport de la mémoire avec la sensibilité et avec l’activité. Si la conservation des idées tient à l’établissement de voies nouvelles dans le cerveau pour les courans nerveux et les actes réflexes, et si les deux élémens essentiels de tout acte réflexe, pour le psychologue, sont l’émotion et l’effort moteur, il en résulte une importante conséquence : c’est que la force de conservation devra être proportionnelle à l’intensité de ces deux élémens. C’est ce qui a lieu, en effet, dans la lutte des souvenirs