Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/376

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pompée qui s’est miré dans ses eaux. Reconnaître avec MM. Maudsley et Ribot que la mémoire est une fonction biologique, ce n’est donc pas assez ; elle est encore et par cela même psychologique, c’est-à-dire qu’elle suppose le phénomène mental élémentaire : l’émotion suivie de réaction motrice, la sensation suivie d’appétition, dont l’acte réflexe n’est que la manifestation extérieure. On aura beau invoquer des luis « biologiques » pour se dispenser d’introduire l’état « psychique » et pour le réduire à une sorte de « luxe, » cet état est dès le début nécessaire ; il est, avec le mouvement, un des « facteurs » du souvenir, u L’habitude ou disposition fonctionnelle » chez l’être vivant suppose elle-même des émotions plus ou moins élémentaires et des efforts élémentaires entre lesquels s’est établi un lien par l’exercice. La masse même du protoplasma flottante sur la mer ne contracterait pas l’habitude de réagir sous l’influence des agens extérieurs s’il n’y avait en elle quelque sourde sensibilité, un bien-être et un malaise rudimentaires. Voilà l’élément « psychique » qui nous semble nécessaire à la base de la mémoire. La matière organique est à la fois sentante et agissante, à la différence des pures machines. La harpe vivante diffère des autres en ce qu’elle se sent elle-même résonner, en ce qu’elle jouit ou souffre de ses accords ou de ses discordances, en ce que ce sentiment de soi réagit sur elle-même : elle a un fond mental en même temps qu’une organisation physique ; sans ce fond, il n’y aurait point de mémoire véritable, pas plus qu’il n’y aurait de chaleur véritable, malgré les ondulations de l’éther en certaines directions, sans l’être qui sent ces ondulations sous forme de chaleur. Les physiologistes croient se dispenser d’admettre l’élément psychologique en attribuant comme propriété à la matière vivante l’irritabilité, mais cette irritabilité dont ils parlent tant est un mot vague qui désigne deux choses différentes, quoique inséparables : d’une part, la sensibilité intérieure, d’autre part, le mouvement extérieur.

Nous rejetons donc les opinions trop étroites et exclusives. La conservation des souvenirs n’est pas pour nous, comme pour MM. Ribot et Maudsley, un phénomène physiologique qui n’aurait qu’accidentellement un reflet psychologique ; elle est un phénomène indivisiblement psychologique et physiologique. Au point de vue physiologique, elle a lieu en venu du mécanisme des actions réflexes, où l’excitation extérieure est suivie d’un mouvement de contraction qui, une fois produit, est plus facile à reproduire. Au point de vue psychologique, elle a lieu en vertu de la loi parallèle qui fait qu’une émotion agréable ou désagréable est suivie d’un effort pour la conserver ou l’écarter, effort qui, une fois produit, est plus facile à reproduire. De plus, nous croyons que c’est la loi mentale qui est la vraie