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vitales. Au point de vue philosophique, il suffit de combiner les deux formes du mécanisme, — mouvemens persistans et résidus persistans, — pour obtenir des modifications stables de structure cérébrale, qui entraîneront une disposition à reproduire certains mouvemens déterminés. Ce sera l’équivalent de ce que M. Ribot appelle les « associations dynamiques d’entre les cellules, de ce que M. Wundt appelle des « dispositions fonctionnelles. » Supprimez, par hypothèse, le côté mental pour ne considérer que le côté physique, et placez-vous ainsi, comme le veut M. Ribot, « en dehors de toute conscience, » il ne restera alors que le mouvement et ses lois.

Aussi retrouve-t-on le côté physique de la mémoire dans tout ce qui est capable de conserver un certain état, une même forme, ou de répéter un même mouvement. En ce sens, tout organe est une mémoire ; l’œil est une mémoire des ondes lumineuses et l’oreille est une mémoire des ondes sonores, car l’œil vibrera de la même manière et se retrouvera dans le même état sous l’influence des mêmes rayons. Bien plus, chaque nerf est une mémoire où se conserve un certain genre de vibrations prêt à se reproduire ; un muscle même est une mémoire prête à répéter certaine contraction. Tout ce qui est organisé, tout ce qui a une structure naturelle, une forme entraînant tel mouvement déterminé, tout cela est une mémoire. Toute habitude, qui est une structure acquise, est encore une mémoire. L’habitude suppose, en effet, soit de nouveaux nerfs, soit des relations nouvelles entre les nerfs, et ces relations, une fois établies, sont de véritables organes, comme le sont nos yeux et nos oreilles : le pianiste s’est fait un organe pour parcourir le clavier, le calculateur pour accomplir ses opérations. On connaît la belle hypothèse de M. Spencer sur la « genèse des nerfs, » que plusieurs découvertes récentes ont paru confirmer ; M. Spencer aurait pu employer des considérations analogues pour expliquer comment l’organe de la mémoire s’est peu à peu formé dans le cerveau et dans tout le système nerveux. Supposez, à l’origine, une masse à peu près homogène de substance vivante ou de protoplasma, comme la substance des méduses flottant sur la mer. Que cette masse homogène reçoive l’action d’un foyer de chaleur, elle s’échauffera seulement du côté tourné vers ce foyer. Si la même influence se reproduit souvent au même endroit, celui-ci finira par acquérir une aptitude spéciale à se mettre en harmonie avec la cause extérieure et à vibrer sous l’influence de la chaleur. C’est ainsi, suivant la remarque de M. Delbœuf, que le contact souvent répété d’un aimant finit par aimanter un barreau d’acier, parce que les molécules de l’acier, souvent