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ensemble dans notre esprit. C’est par ces résidus qu’on peut expliquer en partie non-seulement la reproduction d’un objet individuel, mais encore celle d’une idée générale et typique. La généralisation spontanée s’accomplit mécaniquement par la fusion des images dans la mémoire. Si le vois successivement une certaine quantité d’arbres, il me reste dans l’esprit une représentation confuse de tronc, de branches, de feuilles, qui est l’image générique de l’arbre. Un savant anglais, M. F. Galton, a reproduit artificiellement un travail analogue par des procédés purement mécaniques, en combinant plusieurs portraits de manière à former ce qu’il appelle un portrait générique ou typique. Il projette sur le même écran plusieurs portraits distincts, comme ceux des frères et des sœurs d’une famille, au moyen de lanternes magiques disposées de telle sorte que les images se superposent exactement. On pourrait croire qu’on aura ainsi un dessin grossier et confus ; au contraire : les traits communs, les traits de famille, se renforcent si bien que les autres disparaissent, et l’image obtenue est très nette ; c’est le type de la famille. M. Galton s’y prend encore d’une autre façon. Il photographie sur la même plaque une série de portraits, en ayant soin de ne laisser agir la lumière sur chacun d’eux que pendant un temps très court, et il obtient une photographie qui est la moyenne ou la résultante des divers portraits. Chose curieuse, ces photographies ont un caractère individuel très marqué, et en même temps une pureté de lignes qui les rend souvent plus agréables à voir que les portraits primitifs. M. Galton a combiné ainsi les traits de six femmes romaines, qui lui ont donné un type d’une beauté singulière et un charmant profil générique. Il a obtenu un Alexandre le Grand, d’après six médailles du Britisch Museum qui le représentaient à différens âges, et une Cléopâtre, d’après cinq documens. Cette Cléopâtre était beaucoup plus séduisante que chacune des images élémentaires. Ce qui est plus curieux encore, ce sont les images typiques d’assassins, de voleurs, de fous, etc. Voici, d’un côté, une image générique obtenue par la fusion des photographies de dix assassins. Voilà, d’un autre côté, une seconde image générique obtenue par la fusion des photographies de dix autres assassins. Si vous placez côte à côte les deux images répondans à des groupes différens, vous êtes frappés de leur grande ressemblance. Il y a donc un type général d’assassins. La photographie ainsi pratiquée est une sorte de statistique visible. De plus, elle nous fait entrevoir comment la nature, par une lente sélection, opère le triage des caractères d’une espèce et leur fusion dans les individus.

Malgré les analogies qui existent entre les résidus des sensations