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sensation même, en l’absence des causes extérieures et sous une excitation intérieure ; de plus, elle entraîne les mêmes mouvemens que la sensation. Parfois l’image suit immédiatement la sensation et se produit dans l’organe même du sens. Un coup de cloche retentit, le son éclate, puis diminue, puis s’éteint, et un moment vient où je ne distingue plus si l’écho affaibli est extérieur ou intérieur, s’il est un dernier ébranlement de l’air ou un dernier ébranlement de mon cerveau, s’il est une image ou une perception. Pour l’enfant, cette distinction est d’abord impossible : il est reconnu par l’expérience que nous localisons la cause du son affaibli tantôt dans le milieu extérieur, tantôt dans le milieu cérébral. Qu’un nouveau son éclate, l’écho reçoit une force nouvelle, et il n’a besoin que de se renforcer ainsi pour coïncider avec l’image de l’impression primitive. Quand je suis bien loin du clocher et dans un tout autre milieu, l’écho affaibli pourra se produire encore à l’occasion d’une simple représentation de la cloche. Il en est de même dans le domaine de la vue, quand nous venons de regarder un objet brillant et que le nerf optique continue de vibrer. Ceux qui étudient les objets au microscope voient très souvent une « image consécutive » de l’objet, qui persiste quelques instans après qu’ils ont cessé de le regarder. L’expérience montre que l’idée persistante d’une couleur brillante fatigue le nerf optique : cette idée implique donc une force qui produit ses effets dans les organes. On sait que la perception d’un objet coloré est souvent suivie d’une sensation consécutive qui nous fait voir l’objet avec les mêmes contours, mais avec la couleur complémentaire de la couleur réelle ; si, par exemple, j’ai regardé un disque rouge, j’ai ensuite l’image d’un disque vert ; or il peut en être de même pour une simple représentation, en apparence toute mentale : elle laisse aussi, quoique avec une intensité moindre, une image consécutive[1]. Les yeux fermés, pensons fortement à une couleur très vive et tenons-la longtemps fixée devant notre imagination ; par exemple, représentons-nous avec assez de force une croix d’un rouge éclatant ; si, après cela, nous ouvrons brusquement les yeux pour les porter sur une surface blanche, nous y verrons, dit M. Wundt, durant un instant très court, l’image de la croix, mais avec la couleur complémentaire : le vert. Ce fait prouve que l’opération nerveuse est la même dans les deux cas, dans la perception et le souvenir, et que le souvenir n’est point un état tout intellectuel. C’est, en effet, parce que les nerfs du rouge sont fatigués par l’image tout comme par la sensation même, que les nerfs du vert vibrent ensuite presque

  1. Ribot, Maladies de la mémoire, ch. II.