bon ecclésiastique et bon soldat, qui bénissait d’une main et se battait de l’autre pour son roi, eut quatorze enfans. L’aîné de ceux-ci, l’oncle Godwin, qui joua un rôle important dans la vie de son célèbre neveu, se maria quatre fois et laissa dix-huit enfans, dont quinze garçons, qui, tous, se marièrent et eurent postérité. Les neuf frères cadets de l’oncle Godwin firent également souche. Le sort des filles et des sœurs est moins connu, mais il est à croire qu’elles furent pour quelque chose dans la nuée de cousins et de cousines de noms divers dont il est question dans le Journal à Stella et dont la vue, à de rares exceptions près, ne réjouissait pas le cœur du grand homme de la famille : Swift trouvait qu’il y en avait trop et que la plupart ne lui faisaient pas honneur dans le monde. On a beau être homme de Dieu et homme de génie, il est pénible d’être dérangé d’une conversation avec un ministre ou une belle dame par son cousin le boucher ou sa cousine l’aubergiste.
Le père de Swift était un des membres de la tribu qui n’avaient point prospéré. Il s’était marié honorablement, mais pauvrement, ce que son fils ne lui pardonna jamais, et il venait d’obtenir une place modeste à Dublin lorsqu’il mourut, laissant sa femme enceinte et une fille au berceau. La veuve eut recours à son beau-frère Godwin, procureur général, qui passait pour un richard et qui ne la refusa point, mais qui fit les choses maigrement, et, surtout, de mauvaise grâce. La nature ne l’avait pas créé aimable ; il avait à pourvoir ses dix-huit enfans et il savait (ce que les_ siens et le public ignoraient) que sa grande fortune n’était plus qu’un souvenir ; il l’avait perdue dans des spéculations. Son neveu Jonathan connut plus tard cette dernière circonstance et il n’en fut pas désarmé. La chicherie revêche de l’oncle Godwin lui resta toute sa vie sur le cœur, tellement qu’il crut devoir le récompenser de ses bienfaits par la ligne suivante de l’Autobiographie : « Il plaidait mal, mais il était peut-être un peu trop habile dans les parties subtiles de la loi. » Swift ne se contraignit pas davantage en paroles. Quelqu’un lui demandant s’il n’avait pas été élevé par son oncle : « Oui. répondit-il, il m’a donné l’éducation d’un chien. — Et vous n’avez pas la reconnaissance d’un chien, » répliqua l’interlocuteur. — En matière de rancune, Swift avait des principes solides. Il n’oublia jamais de se venger du mal qu’on lui avait fait et du bien qu’on ne lui avait pas fait. Il est juste d’ajouter qu’il n’oublia pas davantage de rendre le bien pour le bien, sauf dans quelques circonstances où son intérêt y était trop clairement opposé.
Il eut sa première aventure vers l’âge d’un an. Sa bonne le vola, par affection, pour ne pas s’en séparer, et l’emporta secrètement en Angleterre. Il vécut chez elle assez longtemps, objet de toutes sortes de soins : « A trois ans, dit le manuscrit de l’Autobiographie,