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France, sans passer par Alger. Plus que jamais soumis à l’influence de Ben-Durand, qui s’était hâté de revenir auprès de lui, il aurait voulu renouer à tout prix avec Abd-el-Kader ; sans les protestations énergiques du conseil d’administration et surtout du général Rapatel, il aurait abandonné à la vengeance de l’émir les Douair et les Sméla. Tous ces faits, connus du public, soulevaient contre lui l’opinion : une dernière révélation acheva de la lui rendre tout à fait hostile.

Pendant que les vaincus de la Macta se trouvaient encore sur la plage d’Arzeu, le brick Loiret, de la marine royale, avait capturé, près de l’Ile de Rachgoun, à l’embouchure de la Tafna, un navire toscan chargé de deux cents fusils et de quatorze milliers de poudre. C’était le reste d’une fourniture que l’arsenal d’Alger avait reçu, du comte d’Erlon, l’ordre de faire en secret à Ben-Durand pour le compte d’Abd-el-Kader. Il est vrai que l’ordre n’était pas récent et que le chargement avait été fait le 18 juin, avant la rupture ; néanmoins, quand la nouvelle de l’envoi et de la saisie éclata comme une bombe au milieu du public, l’effet en fut désastreux pour le gouverneur. « Ce qu’on ne peut trop publier, écrivait un des meilleurs officiers de la division d’Oran, c’est que nous avons trouvé tous les morts arabes pourvus et bien pourvus de cartouches françaises ; c’est que le gouverneur, au moment où la rupture était inévitable, laissait partir un vaisseau avec deux cents fusils et quatorze milliers de poudre destinés à être débarqués clandestinement ; nous l’avons saisi. Dieu nous délivre de cet homme qui n’a plus de force ni pour faire le bien ni pour empêcher le mal ! » Au lieu de dire simplement la vérité sur cette affaire, si désagréable qu’elle pût être, le comte d’Erlon eut l’idée fâcheuse d’y faire donner, par le Moniteur algérien, un démenti qui ne fut qu’une maladresse de plus. Cette série de fautes eut pour effet de rallier toutes les sympathies au général Trézel. D’Alger il reçut une adresse couverte des signatures les plus honorables ; au moment où le navire qui le ramenait en France allait appareiller de la rade de Mers-el-Kébir, un officier vint déposer entre ses mains une liste sur laquelle une foule de souscripteurs de la ville d’Oran, de la marine et de l’armée avaient inscrit leurs noms pour lui offrir une épée d’honneur.

Le général d’Arlanges, en possession du commandement depuis le 17 juillet, était arrivé avec des instructions qui lui prescrivaient de se tenir sur la défensive. Il lui aurait été d’autant plus malaisé de prendre l’attitude contraire que, par une malheureuse coïncidence, la division d’Oran se trouvait inopinément réduite à moins de cinq mille hommes. Le gouvernement français, qui avait déjà cédé au gouvernement de Madrid le bataillon espagnol de la légion