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sera libre pour tous ; les Arabes seront respectés dans les marchés appartenant aux Français, de même que les Français seront respectés dans les provinces de l’émir ; 4° l’émir pourra, par l’entremise de son oukil, acheter poudre, soufre, armes, mortiers, et tout ce qui se rapporte aux munitions de guerre ; 5° l’émir rendra aux Français tous les déserteurs français, comme aussi les Français rendront à l’émir ses déserteurs; 6° si l’émir avait l’intention de faire une expédition à Constantine ou à Tunis, il en ferait part au général pour qu’il donne son avis sur cet objet. » La formule de ratification n’était même pas oubliée : « Tous les articles ci-dessus écrits ont été consentis par Sa Majesté le roi de France, le Grand Philippe. »


VI.

Il y avait un homme qui refusait de subir l’ascendant auquel se soumettait le comte d’Erlon : c’était le général Trézel. Abd-el-Kader lui avait fait demander à diverses reprises, mais toujours en vain, des armes et des munitions qui lui avaient été promises par le gouverneur, disait-il, et particulièrement deux mortiers, dont il avait besoin pour réduire les coulouglis de TIemcen. Irrité de rencontrer chez le successeur du général Desmichels une résistance à laquelle il n’était pas accoutumé, l’émir revint à cet ancien système d’intimidation qui valait, pour lui, ce que vaut, pour les peuples civilisés, la rupture des relations diplomatiques. Il résolut de rompre le commerce des tribus avec les Français, de faire le vide autour d’Oran, d’Arzeu, de Mostaganem. Les Douair, les Sméla, les Gharaba notamment reçurent de lui l’ordre de se retirer dans l’intérieur des terres. Les derniers se disposèrent à obéir après la récolte, les autres, prêts à résister, réclamèrent formellement la protection de la France. En même temps qu’il avisait le gouverneur de cet incident grave, le général Trézel fit à l’émir des représentations sur une mesure que le traité ne justifiait pas. Il reçut, pour la première fois, une réponse insolente. Abd-el-Kader l’invitait nettement à ne se mêler que de ses propres affaires et à le laisser gouverner les Arabes comme il l’entendait.

Effrayé de ces menaces de conflit, le comte d’Erlon s’empressa de partir pour Oran, où il arriva le 6 juin. Comme pour se donner du courage et s’armer d’avance contre les assauts d’Abd-el-Kader, il avait avant son départ affirmé dans une proclamation qu’aucun point de la Métidja ne serait abandonné par la France. Averti de l’arrivée du gouverneur, l’émir lui fit porter par Miloud-ben-Harachi ses complimens avec une lettre qui débutait ainsi: « Comme j’ai