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et de leurs alliés, maudissant à la fois Abd-el-Kader et les roumi ; douze cents cavaliers s’étaient attachés à sa fortune. Arrivé sous Médéa, il avait commencé par sommer les hadar de lui livrer, pour être mis à mort, tous les juifs et tous les mzabites. Les hadar lui avaient refusé ces victimes, et fermant leurs portes à la masse des Derkaoua, ils n’avaient permis qu’à leur chef d’entrer seul dans la ville. Quelques Kabyles des tribus voisines étant venus grossir sa troupe, il alla camper au-delà du Nador, parmi les oliviers sauvages de Zeboudj-Azara. De là, au nom de Dieu et du Prophète, il envoya sommer Abd-el-Kader de se joindre à lui contre les infidèles. Le 20 avril, Abd-el-Kader partit de Miliana ; le 22, à trois lieues de l’Arba-de-Djendel, sur le territoire des Ouamri, près de Haouch-Amoura, il joignit le Derkaoui, mais pour le combattre. Sa victoire fut complète; il ne perdit pas cinquante hommes et il fit partir pour Mascara, puis pour Tlemcen, afin de donner à réfléchir aux coulouglis du Méchouar, neuf chameaux chargés de têtes; le butin fut immense. Poursuivi jusqu’à Bérouaghia par Mahiddine, Mouça réussit à gagner le désert ; sa femme et sa fille, restées prisonnières, furent traitées avec égard et plus tard lui furent renvoyées ; mais le cousin de l’émir, qui s’était laissé prendre parmi les Derkaoua après avoir conspiré naguère avec les fils de Sidi-el-Aribi, paya de sa vie cette nouvelle trahison. Le 24 avril, Abd-el-Kader fit à Médéa une entrée triomphale; les tribus qui avaient assisté Mouça demandèrent grâce et reconnurent comme les autres l’autorité de Mohammed-el-Barkani.

Grande était l’anxiété du gouverneur-général. En même temps que lui parvenait la nouvelle des succès d’Abd-el-Kader arrivait une dépêche ministérielle qui l’invitait à négocier avec l’émir sur les bases suivantes : reconnaissance de la souveraineté de la France ; délimitation des territoires suivant le cours du Chélif ; liberté absolue du commerce intérieur; exportation exclusivement réservée aux ports français. Entre ces conditions et les visées d’Abd-el-Kader, c’était un abîme. « Envoyez-moi le plus tôt possible Ahmed-Bou-Derba et Juda-ben-Durand, écrivait-il cavalièrement au comte d’Erlon ; je traiterai avec eux de ce qui convient à mon gouvernement et au vôtre. » Sa lettre à Ben-Durand au sujet du gouverneur était encore plus insolente : « Il faut qu’il ne se mêle pas des affaires des musulmans et qu’il reste où il est ; alors nous traiterons avec lui comme nous avons traité à Oran. S’il désire mon amitié et qu’il veuille le bien, il fera ce que je viens de dire à titre de conseil et dans son intérêt; sinon, mes sujets sont d’accord, et je recommanderai aux chefs de suivre la vérité et les règles de la loi. »

Dompté par cette volonté inflexible, le comte d’Erlon se soumit.