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monopole. De Mascara, le négociateur se rendit à Paris : là, il eut moins de succès ; le maréchal Mortier, ministre de la guerre, désapprouva la négociation, blâma le général Desmichels d’en avoir pris l’initiative et renvoya toute l’affaire au gouverneur-général.

Très irrité de ce qu’il regardait justement comme l’acte d’insubordination le plus grave, le comte d’Erlon était décidé à demander à la première occasion le rappel du commandant d’Oran. L’occasion ne tarda pas à s’offrir. Abd-el-Kader avait accrédité, à titre d’oukil sur la place d’Alger, un juif nommé Juda-ben-Dran, et, dans l’usage, Ben-Durand. Elevé en Europe, parlant très bien français, au courant de notre caractère et de nos idées, de notre fort et de notre faible, ce juif était le plus délié des intrigans. Chargé d’abord par l’émir, qui prétendait battre monnaie, de réclamer les anciens coins de la régence, il avait essuyé un refus ; mais le premier pas était fait ; il était entré en relations avec le gouverneur général. Celui-ci s’étant plaint à lui du monopole exercé par l’émir au détriment du commerce français, Ben-Durand ne manqua pas d’alléguer le droit qu’y avait son maître, et, pour preuve, il produisit la fameuse note arabe acceptée par le général Desmichels, et qui, pour Abd-el-Kader, était le seul et vrai traité. Aussitôt le gouverneur écrivit au ministre de la guerre une lettre virulente où tous ses griefs contre le commandant d’Oran étaient récapitulés et qui concluait nettement à sa révocation. Invité à s’expliquer, le général Desmichels eut la faiblesse de n’oser pas, même en ce dernier moment, avouer son erreur ; il nia le traité secret, prétendit que la pièce produite était apocryphe ; bref, il essaya d’une défense maladroite et peu digne. Une ordonnance royale du 16 janvier 1835 prononça son rappel et lui donna pour successeur le chef d’état-major de l’armée d’Afrique, général Trézel.

Immédiatement après les révélations de Ben-Durand, le comte d’Erlon avait fait partir pour Mascara un de ses aides-de-camp, le capitaine Saint-Hypolite, en compagnie du juif. Abd-el-Kader maintint toutes ses prétentions et refusa péremptoirement de renoncer aux clauses de l’acte nié par le général Desmichels comme à ses projets de domination sur tout l’intérieur de la régence. Il écrivit au gouverneur qu’il aimerait à se rencontrer et à traiter personnellement avec lui, afin de confirmer les stipulations précédentes. À lire la réponse molle et faiblissante du comte d’Erlon, il semblerait qu’il eût épuisé, dans son ressentiment contre le général Desmichels, le dernier reste de sa vigueur. Quel contraste avec la lettre menaçante qu’il adressait naguère aux gens de Médéa ! Il repoussait bien encore les prétentions de l’émir sur le Titteri, mais il promettait d’en référer au roi et il faisait lever le séquestre mis d’abord sur un chargement de