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camaraderies, les sociétés d’admiration mutuelle. Duvivier a eu de nombreux amis, vrais, dévoués, d’un enthousiasme désintéressé autant que sincère ; mais il a eu aussi, accrochés à sa fortune, des courtisans et des flagorneurs. Ambitieux pour lui-même, et, il faut le reconnaître, pour ses compagnons de combat et de misère, de cette bicoque où les Kabyles le tenaient bloqué, il tenait à rappeler le commandant et la garnison de Bougie à l’attention du monde. Il faisait de longs bulletins, ses listes de propositions semblaient excessives; c’est qu’en chef qui veut être bien servi, il estimait que les bons services méritent récompense. Malheureusement, il y avait les amis terribles, les flatteurs compromettans à qui la vérité ne suffisait pas, qui ajoutaient, brodaient, amplifiaient, enchérissaient, inondaient de leur prose admirative et fastidieuse les journaux de Toulon et de Marseille. Ils ne s’en tenaient pas aux louanges hyperboliques; pour grandir d’autant leur héros, ils déprimaient systématiquement les autres. Si Duvivier ne s’est pas brouillé dix fois avec La Moricière, ce n’a pas été la faute de tel ou tel de ces correspondans. Quand La Moricière, avec toute sorte de ménagemens, priait Duvivier de lui renvoyer les quatre compagnies de zouaves qu’il retenait à Bougie, on l’accusait aussitôt de jalousie et d’ingratitude. Ce n’est pas que Duvivier, qui avait l’âme haute, fût la dupe de ces flagorneurs ; mais comme, dans la passe difficile où il se trouvait, son humeur était souvent chagrine, leur mauvaise influence avait quelquefois prise sur lui.

A la fin du mois d’octobre 1834, le comte d’Erlon vint visiter Bougie et conclut à l’abandon de la place. Duvivier proposait de ne conserver que les forts et de confier la défense de la ville aux habitans, aidés par une centaine de Turcs. Après le départ du gouverneur-général, il y eut encore deux ou trois combats bien soutenus, mais qui n’eurent pas son approbation parce qu’ils n’avaient, selon lui, d’autre résultat que de fatiguer les troupes. Au mois de janvier 1835, il fit revenir de Bougie et rentrer dans le bataillon de La Moricière trois de ses compagnies de zouaves. Découragé, attristé de l’inutilité de ses efforts, Duvivier, au mois de mars, en était arrivé à conclure, comme le comte d’Erlon, à l’évacuation totale de Bougie. Il ne se doutait pas, il ne pouvait pas se douter qu’un revirement absolu s’était fait dans les idées versatiles du gouverneur.

Le vieux général s’était laissé dire que, si les Kabyles paraissaient intraitables, c’était la faute du commandant supérieur, qui, n’aimant que la guerre, négligeait ou repoussait les occasions de négocier avec eux. Nous retrouvons d’abord ici les mêmes intrigues, et, sauf un, les mêmes intrigans qu’au début de l’expédition. Ils