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la portée extrême; si elle eût été capable de la comprendre, elle n’aurait pas mérité cette apostrophe, cruellement vraie, qu’un député obscur, M. Sémerie, lui jetait en pleine séance : « On vient encore attaquer Alger; on vient dire qu’il est impossible d’en rien faire! L’impossibilité! savez-vous où elle est? Elle est ici, dans cette chambre ; elle n’est pas en Afrique, mais à Paris. »


III.

Vers la fin de la discussion, un jeune député qui connaissait bien l’Algérie, car il y avait servi en 1830 comme officier d’état-major et depuis comme aide-de-camp du duc de Rovigo, M. Napoléon Duchâtel, frère du ministre du commerce, avait combattu vivement la réduction de l’effectif, et surtout l’évacuation précipitée des postes dont la commission du budget réclamait l’abandon. Celui de tous qui était le plus menacé. Bougie, l’était d’autant plus sérieusement, qu’à dire vrai, M. Napoléon Duchâtel et quelques autres fidèles à part, il avait contre lui presque tout le monde : le maréchal Clauzel, la plupart des généraux, à commencer par le lieutenant-général gouverneur, et jusqu’à l’officier de grande distinction qui commandait dans la place, Duvivier lui-même.

Depuis dix-huit mois qu’il en avait reçu la garde, il y avait dépensé, sans faire aucun progrès, rien que pour se défendre, une somme d’activité, d’intelligence et d’énergie prodigieuse. Simple chef de bataillon d’abord, promu lieutenant-colonel au mois d’avril 1834, le commandement qu’il exerçait était de fait celui d’un officier général. Dans ce champ clos, resserré entre les montagnes et la mer, il n’y avait d’égal à l’héroïque attitude du commandant de Bougie que l’héroïque persistance des Kabyles à revenir contre lui à la charge. C’était tantôt l’un, tantôt l’autre des nombreux ouvrages qu’il avait multipliés au dehors et en avant de la place, le camp retranché supérieur, le camp retranché inférieur, la redoute du Gouraïa, les blockhaus du contrefort Vert, le poste du Marché, le blockhaus de la plaine, souvent plusieurs à la fois, qui étaient assaillis par un ennemi nombreux et vaillant. Le récit de ces combats sans cesse renouvelés sur le même terrain, presque dans les mêmes circonstances, risquerait de paraître aujourd’hui monotone. Les contemporains s’y intéressaient naturellement davantage, d’autant plus que les journaux ne tarissaient pas sur les menus détails.

Il y aurait ici une remarque à faire à propos des choses d’Afrique telles que les reproduisait avec un grossissement de microscope la presse du temps. Déjà perçait le germe de ce qu’on a nommé plus tard la fantasia ; déjà commençaient à se grouper les coteries, les