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touchait à son dénoûment : il a eu l’avantage de trouver la paix à peu près faite. On a pu en douter d’abord et voir avec quelque méfiance une négociation engagée, on ne savait à quel titre, par des plénipotentiaires de bonne volonté étrangers à la diplomatie chinoise. On a pu surtout se demander un instant si les malheureux incidens de la retraite de Lang-Son, qui infligeaient une cruelle souffrance aux sentimens les plus délicats de l’honneur militaire français, qui pouvaient réveiller l’orgueil de la Chine, n’allaient pas créer des difficultés nouvelles, troubler l’œuvre des négociateurs. On a dû bientôt se rendre à la vérité. Ce qui a été fait par M. Robert Hart et M. Campbell à Paris a été ratifié à Pékin. Un édit sanctionnant les préliminaires a été publié officiellement. Des ordres ont été expédiés de toutes parts pour la suspension des hostilités et l’évacuation du Tonkin par les soldats du Céleste-Empire. S’il y a eu encore quelques incidens de guerre, ils ont tenu à des retards inévitables dans la transmission des ordres, et des commissaires impériaux ont été envoyés au Tonkin, au camp de M. le général Brière de l’Isle, pour hâter la retraite des réguliers chinois au-delà de la frontière. Tout indique que la Chine est sincère cette fois, d’autant plus sincère peut-être qu’elle paraît se décider librement, au lendemain d’un succès plus ou moins spécieux, par lequel elle ne s’est point laissé enorgueillir.

C’est donc la paix au Tonkin, soit, et le chef du dernier cabinet a certainement obéi à une pensée de prudence en se prêtant à cette négociation nouvelle, en se désistant de quelques-unes de ses prétentions, notamment de cette demande d’une indemnité démesurée, qui n’aurait été sans doute jamais payée. Seulement, au souvenir de toutes les péripéties, de toutes les contradictions, de toutes les incohérences de cette étrange entreprise, une idée vient immédiatement à l’esprit. Cette paix qu’on fait aujourd’hui à des conditions qui n’ont rien que de modéré, il eût été bien plus simple de l’accepter il y a un an, au lendemain de cette affaire de Bac-Lé qui était certes moins grave et moins pénible que la dernière retraite de Lang-Son. Elle était possible alors. La Chine ne s’y refusait pas; elle ne méconnaissait pas l’autorité de la convention de Tien-Tsin qui venait d’être signée et qui avait été violée par ses chefs militaires; elle se prêtait même à payer une indemnité de 3 millions pour les victimes de l’échauffourée de Bac-Lé. On n’a pas voulu accepter ce qui était possible dès lors, et depuis un an, sous prétexte de reconquérir la paix, on a accumulé les fautes et les imprévoyances ; on a dû demander crédits sur crédits, on a expédié renforts sur renforts dans une mesure toujours insuffisante. On a voulu s’emparer de Formose sans s’être préparé les moyens d’occuper utilement cette île, et on a voulu aussi aller à Lang-Son sans être sûr de pouvoir y rester. On a poursuivi pendant une année une guerre