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parce qu’ils n’ont pas réussi, et quand les organisateurs de la « concentration des forces républicaines » les réconcilieraient pour la circonstance, pour les élections, à quoi cela servirait-il? On reprendrait la même politique qui aurait fatalement les mêmes résultats, parce qu’on ne fait pas de l’ordre avec du désordre, parce les politiques de violence et d’imprévoyance, les politiques de parti et de secte ne peuvent produire que les inquiétudes dans les consciences, les troubles dans les intérêts, les malaisés de toute sorte dans le pays.

La faute de M. Jules Ferry, ce qui a préparé sa ruine, c’est qu’il n’a pas su ou il n’a pas voulu ou il n’a pas pu se dégager de ces équivoques, se créer un sérieux système de conduite, chercher son appui dans cette masse de sentimens moyens et modérés qui sont ce qu’il y a de plus solide, de plus invariable dans le pays. Il a paru sans doute avoir quelquefois l’instinct des conditions de gouvernement lorsqu’il allait au Havre et à Rouen prononcer ces discours où il avait l’air de rompre avec le radicalisme, où il déclarait que pour la république le péril était à gauche. Presque aussitôt, à ces radicaux auxquels il semblait déclarer la guerre, il livrait ou le budget, ou une garantie morale, ou l’avenir de l’armée. Par son langage il se faisait de temps à autre conservateur ; par ses actes il s’efforçait de rallier les radicaux à sa majorité. Il s’est cru bien habile avec cette comédie des concessions, avec ce jeu perpétuel d’équilibre. Il a duré plus que d’autres, cela est vrai; il n’a eu en définitive qu’une apparence de crédit, et lorsqu’après quelques jours de silence, il a retrouvé la parole dans son pays des Vosges, à Épinal, qu’a-t-il eu à dire pour expliquer sa conduite, pour décorer sa déroute? Il s’est flatté d’avoir montré que la république pouvait avoir à l’intérieur « un gouvernement ferme et résolu, inflexible dans le maintien de l’ordre, plus fort que toutes les factions!» Il a même déclaré fièrement qu’il se survivait dans ses successeurs, qu’on ne pouvait après tout suivre une politique différente de celle qu’il avait suivie! Il aurait pu ajouter qu’en suivant la même politique on réussirait probablement aussi bien que lui.

Reste toujours à savoir ce que se propose le nouveau ministère don M. Henri Brisson a pris la direction, comment il entend se conduire dans les conditions difficiles, assez troublées, assez précaires où il a été appelé au pouvoir. Il ne s’est pas manifesté jusqu’ici par des coups d’éclat; il s’est borné au changement de quelques fonctionnaires administratifs, au remplacement du préfet de police de Paris. Il a profité des vacances parlementaires pour faire peu de bruit; il attend sans doute la rentrée prochaine des chambres pour se révéler, pour préciser à la première occasion sa pensée sur les affaires publiques, la direction qu’il se propose de suivre. A vrai dire, ce nouveau ministère, qui n’a que quelques jours d’existence, qui compte des hommes de