Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toujours tort contre les opportunistes, et pour remédier à tout ils ont leur recette infaillible : ils veulent réconcilier ces frères ennemis en leur montrant le danger d’aller aux élections prochaines avec des forces divisées et de préparer peut-être le succès des conservateurs. Le système a déjà un nom tout trouvé : il s’appelle la « concentration des forces républicaines. » Ce serait la moralité de la dernière crise et le remède à tous les maux, puisqu’on referait ainsi la majorité républicaine, si étrangement disloquée.

Assurément, ces récriminations et ces accusations qu’échangent depuis quelque temps les partis républicains sont instructives sans laisser d’être quelquefois passablement plaisantes. Ce qu’il y a surtout de vrai, d’utile à saisir, c’est ce sentiment assez général d’une situation compromise, c’est cet aveu que décidément on n’a pas fait d’une manière brillante et heureuse jusqu’ici les affaires de la république en France. Seulement opportunistes et radicaux, dans leur guerre intestine, oublient que si la situation est compromise, comme ils le sentent, comme ils l’avouent, ils y ont contribué les uns et les autres, les uns autant que les autres ; ils ont ensemble la responsabilité des difficultés qu’ils ont accumulées de toutes parts, de cet état de malaise qu’ils ont créé dans le pays par leurs fantaisies, par leurs systèmes et par leurs lois. Qu’est-ce donc en effet que cette politique qui a régné depuis sept ou huit années, depuis que les républicains ont été en position d’user et d’abuser du pouvoir? C’est tout simplement un mélange perpétuel de radicalisme et d’opportunisme. Lorsque les radicaux l’ont bien voulu, ils ont fait passer leurs idées, leurs passions de secte et même leurs chimères dans les lois, dans les actes officiels. Ils ont réussi à imposer pour leurs écoles des dépenses démesurées sous lesquelles ploient aujourd’hui les finances de l’état, des départemens et des communes. Ils n’ont eu qu’à insister un peu pour désorganiser par un simple article du budget des services traditionnels des cultes, pour briser, pour affaiblir au moins, entre les mains de M. le cardinal de Lavigerie, un instrument d’action nationale en même temps que religieuse en Afrique. Ils sont parvenus à imposer au gouvernement lui-même, qui a fini par leur laisser toute liberté, leurs projets de réformes sur l’armée, et s’ils n’ont pas réussi jusqu’au bout, c’est qu’ils n’ont pas eu le temps. Lorsque les opportunistes, à leur tour, ont voulu trouver des alliés, ils les ont cherchés parmi les radicaux, dont ils ont, bien entendu, payé l’appui par des concessions et par des complaisances ; ils auraient craint de se compromettre en paraissant d’intelligence avec les libéraux modérés ralliés à la république. Opportunistes et radicaux n’ont en vérité rien à se reprocher. Toutes les fois qu’il a fallu marcher contre des intérêts conservateurs, ils se sont trouvés d’accord; ils se querellent aujourd’hui