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que l’armée est le clou auquel sa couronne est attachée et qu’après tant de révolutions, l’esprit militaire est la seule part d’esprit public qui nous reste. » Il avait, à ce sujet, de fréquentes et vives contestations avec son collègue, M. de Villèle, qui entendait populariser le roi par des économies, par des diminutions d’impôt. L’un et l’autre avait sa recette. Celui-ci voulait que la royauté cherchât sa force dans la chambre élective, celui-là qu’elle ne se fiât qu’à ses soldats. Tous deux se trompaient. Malgré ses grandes et ses petites habiletés, M. de Villèle vit la chambre lui échapper, et la prise d’Alger ne put retarder d’un seul jour la chute du trône.

Croirons-nous que les Bourbons, mal avisés, mal conseillés, aient succombé sous le poids de leurs fautes ou devons-nous voir dans leur malheur l’accomplissement d’une destinée, que ne pouvait conjurer aucune prudence humaine? Est-ce aux hommes qu’il faut s’en prendre ou à la force des choses, à la fatalité des situations et des principes? Tel historien de la restauration est disposé à croire que les ultras ont causé tout le mal; il en fait des boucs émissaires, seuls responsables de la catastrophe. L’homme de bien et de mérite dont M. Rousset a raconté la vie avait peu de goût pour les ultras, et M. de Vitrolles lui-même est convenu « que ce parti orgueilleusement égalitaire était fort difficile à conduire, qu’il ne reconnaissait de supériorité ni dans les talens ni dans les services qu’on lui rendait. » Ces royalistes à outrance avaient le tempérament et toutes les impatiences révolutionnaires. Ils ne demandaient pas, ils exigeaient, et n’accordaient aucun délai. Ils entendaient que, toute affaire cessante, on s’occupât du redressement de leurs griefs. De cruelles abstinences, des jeûnes forcés avaient irrité leur appétit, leur vertu avait hâte de se consoler de ses longues privations; ils avaient tous les titres et tous les droits; on leur devait tout, ils ne devaient rien à personne.

Beaucoup d’entre eux ressemblaient à cet enseigne de vaisseau qui alléguait qu’ayant été élève de la marine en 1789, il avait rempli le plus saint des devoirs en ne servant pas la révolution, mais que s’il était resté au service, sans tenir compte de l’avancement extraordinaire qu’il aurait pu mériter par ses exploits, il se serait sûrement élevé par droit d’ancienneté jusqu’au grade de contre-amiral, qu’il réclamait de la justice du roi. — « Répondez-lui, disait M. de Vitrolles au ministre de la marine, que vous reconnaissez ses droits, mais qu’il oublie un fait essentiel : c’est qu’il a été tué à la bataille de Trafalgar. » — En recevant ce genre de placets, Louis XVIII s’indignait tour à tour ou plaisantait. Il se souvenait d’avoir lu qu’à l’avènement de Charles II, un tory très prononcé lui avait demandé une place dans sa maison pour avoir trompé un mari whig.

M. de Clermont-Tonnerre ne reprochait pas seulement aux ultras