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entière dans deux points que toute cette polémique sur l’ordre historique des cultures n’entame pas. Premièrement, ceux qui admettent le fait de la rente ont-ils tort de parler, comme le leur reprochent M. Cauwès et les tenans de la même opinion, des puissances du sol, du monopole naturel que présentent certaines terres? Assurément ce monopole diminue. Mais est-il une quantité sans importance dans l’établissement des prix et dans le revenu des terres? M. Cauwès ne répond pas suffisamment à ces exemples classiques de crus exquis, propres à certains sols, auxquels ils donnent un prix et un revenu exceptionnels. Supposez que, par un malheur qui ne serait pas à la rigueur impossible, ces vignobles renommés entre tous viennent à être détruits par le phylloxéra, de façon à ne pouvoir être remplacés que par des vignes de qualité inférieure, les propriétaires ruinés ne pourraient-ils pas fournir des renseignemens très positifs sur la réalité de la rente qu’on s’efforce vainement de nier ou d’atténuer ? On soutient « qu’avant la découverte de la chimie moderne, on exagérait beaucoup le rôle du sol dans la production végétale, » et que « la doctrine des qualités primitives de la terre reflète les idées anciennes sur le mode de nutrition des plantes. » Bastiat n’aurait pas parlé autrement. Personne ne peut être tenté de contester le contingent nouveau apporté par la science à la fertilisation et dès lors à l’égalisation relative de la puissance productive de différens sols peu gratifiés à l’origine. Est-il moins vrai que nous attendons encore la chimie qui fera naître à Argenteuil ou à Suresnes le clos-vougeot et le lacryma-christi? En second lieu, la fertilité est loin d’être la seule cause de la rente. Un débouché nouveau, comme nous le disions, suffit à la faire naître non-seulement pour la terre cultivée, mais pour les terrains bâtis ou qui attendent des constructions. Là est le secret de l’enrichissement d’un nombre considérable de propriétaires de nos jours même. Les chemins de fer ont eu le double effet, tantôt de faire naître des rentes pour des terres qui ne rapportaient que bien juste le profit du capital engagé, tantôt de supprimer des rentes en égalisant les conditions par le rapprochement des distances. La rente naît encore pour le sol dans l’intérieur des villes en vertu de circonstances qu’il nous a été facile d’étudier de près. L’augmentation, qu’on est tenté d’appeler fabuleuse, du mètre de terrain dans Paris, sans travail et sans capital, a fait la fortune des anciens possesseurs. Assurément, on peut soutenir que le travail et le capital créent de plus en plus de telles masses de valeurs qu’elles dominent de beaucoup ces valeurs nées de la rente. Nous en sommes très convaincu pour notre compte. Quant à la réalité même de la rente du sol, comme à sa persistance, nul progrès survenu ne peut l’empêcher. Aucune de ces discussions