De là cette tendance à la baisse des salaires, conséquence d’une population croissante mise en regard d’un capital qui, dit-on, n’en suit qu’imparfaitement le mouvement ascendant. Mais, pour que la fameuse loi d’airain, dénoncée par Lassalle, apparût dans toute sa rigueur, il fallait qu’un autre théorème vînt s’y adjoindre, et ce fut l’œuvre d’un autre économiste dont les thèses, en plus d’un genre, sont devenues comme un champ de bataille pour les controverses contemporaines. C’est Ricardo qui a montré le renchérissement des vivres comme une conséquence de la rente foncière, accrue selon lui par la nécessité d’exploiter toujours plus chèrement un sol toujours plus restreint et des terrains moins fertiles. L’ouvrier, pressé entre deux causes de misère, gagnera moins, en même temps qu’il sera tenu à dépenser plus pour vivre. La théorie malthusienne est combattue dans les traités que nous avons sous les yeux, sans qu’aucun prétende pousser la réfutation jusqu’à nier la part de vérité qui se rencontre dans l’ouvrage de Malthus.
Aussi ne voulons-nous insister ici que sur la question de la rente, qui trouve moins d’accord chez nos auteurs, et qui n’a guère cessé d’être pour le socialisme le principal sujet de scandale. On ne saurait s’en étonner, lorsqu’on se rappelle que la rente du sol est ce revenu excédant qui appartient au propriétaire dans nombre de cas, une fois couvertes les avances du capital. Sans que le propriétaire ait rien eu à faire, un sol plus fertile, un débouché nouveau, un emplacement plus favorable ne de circonstances nouvelles, lui confèrent cette plus-value imméritée et qui constitue une spoliation de la masse aux yeux de certains théoriciens. Bastiat avait voulu détruire la portée de ce fait par la théorie de l’échange des services et la gratuité des richesses fournies par la nature, croyant qu’il était par là au socialisme proudhonien son arme la plus redoutable. Lui-même ne faisait que se dérober par une sorte de subterfuge à une difficulté subsistante. Celui qui vend un produit à un prix débattu rend un service à celui qui l’accepte volontairement, répétait-il. Était-ce là répondre ? Est-on libre, en effet, de ne pas accepter une chose nécessaire, même à un prix de monopole ? M. Cauwès ne paraît pas attacher une extrême importance à cette objection ; il s’applique presque exclusivement à combattre, ce qu’il fait d’ailleurs avec force, l’ordre historique selon lequel les meilleures terres auraient été cultivées les premières, de façon à condamner les cultivateurs qui arrivent ensuite à s’attaquer à des terrains inférieurs, dont les produits obtenus chèrement deviennent les régulateurs des prix pour les produits qui ont coûté moins à obtenir. Cette réfutation ne fait que répéter celle de ? l’économiste américain Carey et de quelques économistes français, mais elle ne change rien au fond de la question, qui réside à peu près tout