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foncièrement, hautement opposées au socialisme et à l’économie politique pessimiste qui lui fournissait des prétextes : accord essentiel du travail et du capital; part absolue et proportionnelle de celui-là augmentant progressivement; baisse successive de l’intérêt. N’est-ce pas répondre à la thèse qui reprend faveur et que répètent à l’envi les Katheder Socialisten : à savoir que le riche devient toujours plus riche, tandis que le pauvre devient toujours plus pauvre? Affirmation contre laquelle nos professeurs d’économie politique font valoir les faits non moins que les théories. Ici encore, ils se défient de l’optimisme abusif, mais ils ne consentent pas non plus à l’appliquer à la légère au passé. Plusieurs même ont pris soin de mettre en regard des coins occupés par le paupérisme de certains centres, ces armées de mendians disséminés dans l’ancien régime sur toute la surface du territoire, et les souffrances de ces masses que trop souvent protégeaient mal contre la misère ces institutions des confréries dont on ne peut assurément méconnaître les bienfaits, mais dont on s’exagère vraiment trop l’efficacité. A la différence des socialistes de la chaire d’outre-Rhin, les professeurs français sont unanimes à soutenir que la condition de la classe ouvrière s’est, malgré tout, améliorée; qu’elle est mieux vêtue, nourrie, logée même, sauf dans certains quartiers des grandes villes, et encore il n’est pas sûr que l’ouvrier fût mieux autrefois à cet égard dans nos vieilles rues, où s’entassait la population misérable ; ils n’ont pas de peine à montrer ce qu’il y a d’heureux dans la diffusion de la propriété foncière parmi la classe rurale plus aisée et de la propriété mobilière dans la classe urbaine. On doit convenir pourtant que l’ouvrier aurait pu et dû même gagner plus encore à ces développemens de l’industrie et de la richesse, mais trop de causes expliquent, — soit dans les écarts de la conduite privée, soit dans les dépenses publiques exorbitantes depuis un siècle, — que nos progrès n’aient pas diminué plus encore cette misère qui fait un pénible contraste avec les accroissemens du bien-être.

La manière dont ils résolvent la question de la population dans son rapport avec les subsistances, et celle de la rente du sol, suffirait seule pour différencier les tendances des économistes relativement à la solution du problème ouvrier ou même social, comme on l’appelle. Il est à peine besoin d’indiquer en quoi consiste ce lien et quelle relation étroite unit à bien des égards les fameuses théories de Malthus et de Ricardo. Malthus, dont le nom est beaucoup répandu par son impopularité même, évoque le spectre de la pléthore d’hommes et de l’insuffisance des moyens d’existence, deux termes qu’il a cru déterminer par les progressions dont il a fait la base de son système. N’est-ce pas une fatalité inévitable que tant d’êtres humains, se disputant le travail, se fassent une concurrence meurtrière ?