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l’avocat, du médecin. La concurrence y établit la moyenne pour la masse des praticiens, laissant hors de concours seulement les talons les plus recherchés et les œuvres auxquelles la vogue crée une situation privilégiée. Ces faits n’excluent en rien la part de désintéressement qui met entre ces travaux et la pure industrie une distance infranchissable. En persistant à méconnaître dans les professions libérales l’élément économique, nos jurisconsultes s’exposeraient à retomber dans les subtilités plus que jamais insoutenables d’un Pothier et de plusieurs autres docteurs, s’ingéniant à dissimuler sous toute sorte de prête-nom et de subterfuges qui nous font sourire les honoraires de l’avocat. Nous ne pensons pas que l’économie politique ait été introduite dans les écoles de droit pour rétrograder jusque-là, et qu’il faille, pour sauver la pudeur de la jurisprudence, une casuistique spéciale qui couvre de ses voiles un adage aussi avouable que celui-ci : « Toute peine mérite salaire. »

Dirons-nous qu’avant de lire ces différens résumés, nous nous étions imaginé que des hommes habitués à répéter le reproche que l’économie politique n’est pas suffisamment pénétrée de l’élément humain, historique et juridique, seraient portés à abuser un peu de la synthèse qui tendrait à la confondre avec les sciences voisines. Cette tendance a pu se manifester dans quelques cas, mais il ressort habituellement une impression toute contraire. Les exposés où nous cherchons à lire l’indication de vues d’ensemble isolent trop l’économie politique et la confinent dans une place modeste à l’excès, celle qu’occupe Marthe dans l’évangile. On peut assigner à l’économie politique ce côté pratique qui consiste à veiller à l’approvisionnement, aux soins à donner au ménage social, sans méconnaître le côté moral de la science. M. Charles Gide réserve aux questions relatives à la répartition des richesses les idées morales qui font, dit-il, « de cette partie de l’économie politique une science juridique. » C’est à tort, selon nous, qu’il traite la production comme une sorte de mécanique, plutôt que comme une science d’humanité. « L’industrie humaine ne diffère en rien, écrit-il, sinon par l’ampleur incomparable de ses développemens et par la magnificence de ses résultats, de l’industrie de l’abeille et du castor. » Comment ! il n’y a que l’ampleur des résultats qui diffère ! L’auteur protesterait si on prétendait foire sortir de cette proposition la théorie de l’homme-rouage, de l’ouvrier-machine. Que signifie pourtant cette assimilation, si elle n’a pour objet de réduire le travail humain à un fait instinctif, et les lois qui le régissent à quelque chose d’absolument fatal ? Il y a certes des combinaisons du travail qui sont volontaires. C’est librement qu’on loue l’emploi de ses forces intellectuelles et physiques. C’est librement qu’on s’associe. On doit repousser dès lors cette confusion de l’industrie humaine avec l’œuvre toute mécanique