Deux ans après, Madeleine elle-même est à l’article de la mort. Le 9 janvier 1672, elle s’occupe de son testament ; elle fait appeler ses notaires habituels, Mes Ogier et Moufle, qui la trouvent « gisante au lit, malade de corps, saine toutefois d’esprit, mémoire et jugement. » Elle est toute à son salut, la pauvre comédienne ; elle multiplie les œuvres pies et charitables. Elle « recommande son âme à Dieu le créateur, le suppliant par les mérites infinis de la mort et passion de Notre-Seigneur et rédempteur Jésus-Christ, la vouloir admettre en son saint paradis, pourquoi elle implore l’intercession de la bienheureuse vierge Marie et de tous les saints et saintes de la cour céleste du paradis ; » elle veut que son corps soit « inhumé en l’église Saint-Paul, dans l’endroit où sa famille a droit de sépulture ; » elle fonde à perpétuité, pour le repos de son âme, « deux messes basses de Requiem pour chaque semaine ; » elle constitue une rente dont le revenu servira à distribuer à cinq pauvres, choisis par ses sœurs, cinq sous par jour « en l’honneur des cinq plaies de Notre-Seigneur, » et la distribution de cette aumône sera faite par le curé de Saint-Paul. À son frère survivant, Louis, et à ses deux sœurs, Geneviève et Armande, elle laisse 400 livres de rente viagère pour chacun. Elle institue enfin Armande légataire universelle usufruitière du reste de ses biens pour les transmettre à la fille née et aux enfans à naître de son mariage. Comme dépositaire de sa fortune mobilière, elle désigne « le sieur Mignard, peintre ordinaire du roi, dit le Romain, » et, avec lui, M. de Châteaufort, conseiller du roi, auditeur en la chambre des comptes, « pour exécuter et accomplir le présent testament, icelui augmenter plutôt que diminuer. » On est frappé de la force de volonté dont témoigne cette formule finale. L’acte tout entier, évidemment écrit sous la dictée de la testatrice, porte la même marque ; il respire aussi ce sens des affaires dont Madeleine nous a déjà donné des preuves si frappantes. Rien n’y est laissé à l’arbitraire des interprétations ; tout est prévu et réglé dans le moindre détail. Quant aux avantages considérables faits à Armande, ils ne sont pas, comme on l’a dit, au détriment de Louis et de Geneviève ; rien de plus naturel que la préférence de Madeleine envers une jeune sœur, femme de son meilleur ami, du principal auteur de sa fortune. De pareils testamens sont, je ne dirai pas communs, mais presque de règle chez ceux qui meurent sans enfans et auxquels la loi laisse le libre choix de leurs héritiers. Dans le cas présent, Madeleine ne pouvait prendre dispositions plus sages ni mieux justifiées. Louis était célibataire, Geneviève mariée, mais sans enfans. Cela n’a pas empêché, bien entendu, ceux qui donnent Armande pour fille à Madeleine de tirer de ce testament une preuve de plus à l’appui de leur système.
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