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Une fois à Lyon, son temps d’épreuves est terminé. Elle devient plus stable, car elle séjourne des années entières dans cette ville, qui est alors le centre de ralliement et de recrutement des troupes de campagne. Aussitôt arrivée, elle avait assuré son succès par la représentation d’une grande comédie, en cinq actes et en vers, l’Étourdi, première œuvre écrite de son chef, où Madeleine remplissait peut-être, au début, le rôle d’Hippolyte, c’est-à-dire de l’amoureuse, pour le céder ensuite à une belle et exigeante recrue, Mlle Duparc, radieuse incarnation des types de ce genre. Elle fait ensuite de nombreuses excursions, le long de la vallée du Rhône, en Languedoc et en Provence, mais avec un itinéraire raisonné, sans vagabondage, toujours avec Lyon pour point de départ et de retour. Bientôt, elle va trouver un double champ d’exploitation, le plus fructueux que puissent souhaiter des comédiens : la cour d’un prince ami du théâtre et une série de villes toujours en fêtes. En septembre 1653, le prince de Conti s’était installé près de Pézenas, au château de la Grange-aux-Prés, avec sa maîtresse Mme de Calvimont. Riche, généreux, fort éloigné encore des pratiques d’austère dévotion auxquelles il devait s’abandonner plus tard, remplissant les fonctions de gouverneur de la province, il accueillait bien et récompensait largement quiconque était capable d’amuser lui-même et son entourage. L’occasion parut bonne à Molière de venir, lui aussi, tenter la fortune de ce côté. Non qu’il eût à faire grand fond sur le souvenir que pouvait avoir conservé de lui le prince, son ancien condisciple au collège de Clermont : examinée d’un peu près, l’amitié prétendue du grand seigneur et du comédien semble assez improbable. Il comptait avant tout sur lui-même, sur ses camarades et, peut-être sur la protection d’un familier du prince, l’abbé de Cosnac, le futur archevêque d’Aix. Cosnac se vante, en effet, dans ses Mémoires, d’avoir appelé Molière à Pézenas et de l’avoir soutenu contre la rivalité d’un autre chef de comédiens ambulans, Cormier, préféré par Mme de Calvimont. Admise à jouer, « la troupe de Molière et des Béjart » fit preuve d’une supériorité éclatante, « par la bonté des acteurs et la magnificence des habits », dit Cosnac, certainement aussi par le talent de ses membres et la nouveauté d’un répertoire où figuraient, avec l’Étourdi, ces farces à jamais regrettables qui contenaient en germe le Médecin malgré lui, George Dandin, les Fourberies de Scapin et les plus amusantes scènes du Malade imaginaire. Le prince lui accorda aussitôt sa protection et lui permit de prendre son nom. D’autre part, les États de la province, qui se tenaient chaque année dans une des principales villes, Montpellier, Narbonne, Béziers, etc., causaient autour d’eux une animation et un accroissement de population flottante très favorable aux représentations théâtrales. La