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que Montfleury accusait Molière d’avoir épousé sa propre fille ; c’est là le point de départ de l’abominable calomnie qui a longtemps pesé, qui pèse encore sur la mémoire de Molière. On s’étonne de voir Racine, qui, à ce moment, était encore l’ami de Molière, peut-être son obligé, accueillir et propager aussi légèrement un pareil bruit. Ces malheureuses lignes sont écrites d’un ton par trop dégagé ; d’autant plus que, sans elles, on ne connaîtrait même pas l’existence d’un factum qui n’a point laissé d’autres traces. Racine croyait-il lui-même, ne croyait-il pas à la vérité de l’accusation ? Elle lui est indifférente ; c’est tout ce qu’il laisse voir. Quant à Montfleury, il se vengeait par la plus déloyale des armes, la délation calomnieuse, d’une simple blessure d’amour-propre. Comédien de l’hôtel de Bourgogne, c’est-à-dire d’une troupe rivale de celle de Molière, il avait vu sa déclamation emphatique tournée en ridicule dans l’Impromptu de Versailles. À cette parodie comique, il fit d’abord répondre par une autre, l’Impromptu de l’hôtel de Condé, œuvre de son propre fils ; jusque-là, rien que de légitime, quoique cette réponse soit aussi méchante que plate. Mais cela ne lui suffisait pas ; fou de rage et de haine, il espéra perdre d’un seul coup son ennemi ; il cria tout haut, il formula par écrit ce que d’autres disaient tout bas. De preuves, il n’en donnait sans doute et n’en pouvait donner aucune. On devine le cas que Louis XIV fit de l’odieuse requête par la conduite qu’il tint peu de temps après : il voulut être le parrain d’un fils de Molière. C’était la plus éclatante réparation que le poète put désirer.

Treize ans plus tard, c’est-à-dire trois ans après la mort de Molière, en 1676, l’accusation de Montfleury était reprise par un homme qui valait encore moins, le sieur Guichard. Celui-là était une sorte de faiseur d’affaires, un entrepreneur de fêtes et de spectacles. Il convoitait le privilège de l’Opéra ; mais Lulli, qui en jouissait, n’étant nullement disposé à l’abandonner, il essaya, paraît-il, de se débarrasser de lui en l’empoisonnant. Une enquête fut ouverte, et, au nombre des témoins à charge, se trouva la veuve de Molière. Guichard lança aussitôt contre ces témoins un mémoire dans lequel, entre autres imputations infamantes à l’adresse d’Armande, il la traitait « d’orpheline de son mari » et de « veuve de son père. » Dans ce mémoire et au cours du procès, qui se termina pour lui par une condamnation sévère, Guichard nous apparaît comme un homme privé de sens moral, capable de tout, calomniant, avec une impudence et une violence prodigieuses, avec une facilité d’affirmation inouïe, tous ceux qu’il a le moindre intérêt à discréditer. C’est dire ce que vaut l’injure lancée par lui contre Armande et qui couvre de boue, par ricochet, Madeleine Béjart et Molière.

Après les accusations directes, les simples allusions. Il y en a