Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/958

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des rivalités à outrance et des antagonismes, on a surtout tellement subverti toutes les idées de droit, qu’on finit par recueillir ce qu’on a semé. Le monde vit dans un état d’incertitude agitée, craignant l’avenir, exposé à toutes les surprises, réduit à se demander, au retour de chaque printemps, s’il y aura guerre ou paix, si les négociations qu’on renoue sans cesse ne seront pas soudainement dérangées par quelque incident survenant au loin. C’est, à l’heure présente, l’histoire de la plupart des grands états, également placés dans une situation périlleuse ou hasardeuse qui tient visiblement à des causes générales.

La France, qui a été sur le point de se voir engagée dans une guerre indéfinie avec la Chine, retrouve, il est vrai, la paix : on le dit maintenant ; c’est possible. La France est dans tous les cas obligée de rester pour longtemps sous les armes au Tonkin, si elle ne veut pas être exposée à de nouveaux mécomptes. L’Angleterre, qui n’en a pas fini avec le Soudan, qui n’en finira pas de sitôt avec l’Egypte, l’Angleterre est en querelle ouverte avec la Russie au centre de l’Asie, et la querelle vient de s’envenimer ou de s’aggraver étrangement par un incident militaire, presque par un commencement d’hostilités, sur les frontières de l’Afghanistan. Voilà les deux puissances plus que jamais remises en présence dans ces régions lointaines, et c’est là assurément un des plus gros nuages, un des dangers les plus sérieux pour la paix universelle. A vrai dire, tout n’est point imprévu dans cette crise nouvelle, dans cette phase aggravée des affaires de l’Asie centrale. Depuis le double mouvement que les Afghans et les Russes avaient fait au courant des derniers mois, les uns se portant sur un des points contestés de la frontière, à Penjdeh, les autres répondant à cette marche en avant par l’occupation d’un autre point contesté, on pouvait distinguer une situation au moins délicate. On devait se douter que ces mouvemens militaires, qui avaient pour effet de rapprocher des forces ennemies sur des frontières toujours disputées, n’étaient pas sans péril, et on aurait pu éviter de jouer avec le feu.

On s’en doutait bien probablement, puisque des négociations s’étaient aussitôt engagées entre Londres et Saint-Pétersbourg, et qu’il y avait, il y a moins d’un mois, une sorte d’arrangement par lequel les Russes promettaient de rester immobiles, — s’ils n’étaient pas provoqués, si aucune circonstance imprévue ne les obligeait à sortir de leur réserve ! Encore il y a quelques semaines, on semblait d’accord pour remettre cette éternelle question des frontières afghanes à une commission de délimitation. C’était ce qu’il y avait de plus sage ; mais en même temps l’agitation se répandait dans le monde officiel de l’empire indien, et l’émotion n’était pas moins vive à Londres. Les Anglais, toujours inquiets de la marche de la Russie, et résolus à