L’ouvrière, tournant au hasard ses yeux fous,
A ses oreilles voit briller les deux bijoux…
Et les petits sont là, dont le regard implore !
Le mont-de-piété doit être ouvert encore.
Elle sort brusquement en se touchant le front…
N’ayez pas peur. Ce soir, les enfans souperont.
Cette nuit-là, ce fut la pire de ses veilles.
Comment faire, à présent, sans les boucles d’oreilles ?
Chez ces dames, demain, comment se présenter ?
Et leurs regards surpris, comment les supporter ? ..
Tout dire ? .. Mais dût-on croire son témoignage,
Il faudrait avouer les bijoux mis en gage,
Son salaire mesquin qui ne peut tout payer,
Et le vice du père, et l’horreur du foyer ! ..
Dieu ! Si l’on supposait qu’elle invente une histoire !
Puis, ce serait bien pis si l’on devait la croire.
On lui voudrait donner la charité ! .. Jamais !
Non, non ! Elle oubliera le chemin désormais
De la noble maison qui pourtant lui fut bonne ;
Elle craint d’inspirer, en acceptant l’aumône,
À ces cœurs qui pour elle eurent quelque amitié,
Un peu de ce mépris que contient la pitié.
Elle travaillera n’importe où, l’ouvrière,
— Gens heureux, jugez-la trop honteuse ou trop fière ;
Blâmez-la, gens heureux. Je l’aime et je la plains ! —
Et, pour le méchant père et les deux orphelins,
Elle ira, s’il le faut, demain, la désolée,
Ainsi que dans l’hiver de la grande gelée
Où l’on avait vendu la paillasse et les draps,
Coudre, à vingt sous par jour, le linge des soldats !
Or, hier, accompagnant ses filles, la duchesse
Contait à sœur Agathe, au sortir de la messe,
Comment sa protégée, — « une perle, ma foi ! » —
N’était plus revenue, et sans dire pourquoi,
Malgré tous leurs efforts de bonté délicate.
La sœur fut très confuse et dit :
« C’est une ingrate. »
FRANCOIS COPPEE