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Avec les calmes yeux et le teint pur et clair
Des heureux d’aujourd’hui, de demain et d’hier.
Ah ! si l’on comparait leur vie avec sa vie ! ..
Qu’éprouve-t-elle donc ? Serait-ce de l’envie ?
Ce mauvais sentiment la fait pourtant frémir…
Très lasse, elle s’accoude et voudrait bien dormir.
Dans la maison, il règne un si profond silence
Qu’elle se laisse aller à cette somnolence ;
Mais un fracas connu vient soudain l’éveiller…

C’est son père ivre-mort tombant dans l’escalier !


III


Huit jours après, Aimée était à son ouvrage,
Et rien n’avait changé du superbe entourage.
Ratissant les massifs, un garçon jardinier
Travaillait dans le parc un peu plus printanier.
Les bergers des panneaux, gardant la même pose,
Offraient leurs agnelets ornés d’un collier rose,
Et l’ancêtre, campé sur son fougueux cheval,
Livrait plus que jamais son combat triomphal.

L’ouvrière cousait, quand les deux demoiselles
Arrivèrent gaîment, en toilettes nouvelles,
Se ressemblant toujours comme deux gouttes d’eau.

« Mademoiselle, on vient pour vous faire un cadeau,
Dit l’aînée. Il s’agit de ces boucles d’oreilles.
Nous les portons, ma sœur et moi, toujours pareilles,
Et nous distribuons parfois nos vieux bijoux…
Nous avons donc gardé cette paire pour vous
Et nous avons donné la seconde à Julie. »

Une confusion qui la rend plus jolie
A fait rougir Aimée ; elle ne sait comment
Exprimer sa surprise et son remercîment.
Mais, avant qu’elle puisse assembler ses paroles :

« Laissez-nous faire, » ont dit les deux charmantes folles ;
Car elles sauteraient volontiers au plafond,
Tant leur cœur est joyeux du plaisir qu’elles font.
Et chacune aussitôt s’empare d’une oreille
Qui, sous l’émotion, devient chaude et vermeille,