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explique le dragon et sa garde par cette disposition des lieux. Dans cet estuaire est une Ile basse ; on y voit un autel d’Hercule, mais, du célèbre bois qui produisait des pommes d’or, il ne reste que des oliviers sauvages. »

C’est ce texte, appuyé de quelques autres, qui a permis à M. Tissot, ancien ministre de France au Maroc, de déterminer dans un savant mémoire l’emplacement exact du jardin de l’antiquité et de l’autel d’Hercule.

Et le lendemain, en me remettant en route, j’éprouvais une impression étrange de me trouver ainsi transporté en plein poème, en pleine mythologie, pendant que mon cheval brisait en marchant quelque branche d’olivier ou écrasait le tapis de mauves qui recouvre aujourd’hui le sol du bois sacré aux fruits merveilleux.


Le 3 avril 1883.

Il nous a fallu près de deux jours pour franchir les contreforts escarpés qui de l’Atlas vont aboutir au cap Spartel, et tout à coup, du haut d’une colline, nous apercevons enfin Tanger, nous revoyons son minaret vert, les pavillons de ses légations flottans au vent, son golfe où se balance une canonnière espagnole, et son merveilleux tableau de fond resté toujours admirable après ce que nous venons de voir : Gibraltar, baigné au loin dans une brume argentée, le détroit bleu moiré tacheté de voiles blanches, la côte d’Espagne vaporeuse et comme lavée de teintes rosées, et la petite ville de Tarifa qui brille là-bas et dont la blancheur éclatante miroite au soleil.

C’est le dernier décor de la brillante féerie à travers laquelle je viens d’accomplir cette longue promenade. Alors, tandis que ma pensée se reporte avec impatience vers les affections chères que j’ai laissées en France et dont je n’ai reçu depuis plus de trente-six jours aucune nouvelle, voici qu’involontairement, par contraste, sans doute, je songe aussi aux rigueurs de l’hiver qui enveloppait Paris de brouillards ou le couvrait de neige pendant que le soleil me versait sa chaleur et sa lumière ; et les vers de Dante me reviennent à la mémoire :


O setteatrional vedovo sito,
Poichè privato se’ di mirar quelle.


« O contrée du Nord, pauvre veuve puisque tu es privée de connaître les splendeurs du Midi ! »


MAURICE PALEOLOGUE.