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les mélodies arabes, très clair et d’une expression très énergique. La voix du muezzin qui chantait au haut du grand minaret de la Koutoubia nous avait frappés par la pureté de son timbre et l’élévation de son registre ; c’était une si belle voix de ténor, si douce et harmonieuse, si souple et sonore, et elle avait par momens des accens si passionnés que, du haut de notre terrasse, nous ne pouvions nous lasser de l’écouter. Nous avions remarqué en outre que, sur la galerie aux élégantes découpures qui couronne le sommet du minaret, le muezzin hésitait à trouver les points cardinaux vers lesquels il devait s’orienter pour crier sa prière, et que, comme s’il eût perdu la vue, ses mains semblaient chercher en tâtonnant quelque point de repère sur la balustrade. Il était aveugle en effet : un jour qu’il avait trop assidûment regardé dans les jardins du palais qui s’étendent au pied de la mosquée et où les femmes du sultan ont l’habitude de se promener à visage découvert, Mouley-Hassan lui avait fait crever les yeux.

Le kaïd qui nous racontait cette histoire mettait tant de simplicité dans son récit, il était si loin de penser à s’apitoyer ou à s’indigner, et cet acte de barbarie lui paraissait si naturel, qu’à l’entendre on mesurait à quel degré d’abaissement et de résignation servile onze siècles d’un despotisme sans frein et un fatalisme aussi écrasant que celui de la religion musulmane peuvent réduire un peuple.


Maroc, le 14 mars.

L’affaire que nous avons à traiter tirant en longueur, nous avons exigé du premier ministre qu’il nous donnât immédiatement audience. A huit heures du soir, notre escorte habituelle est venue nous prendre, et nous nous sommes rendus à cheval au palais de la Mamounia, précédés d’hommes portant de grandes lanternes que la clarté de la lune rendait d’ailleurs inutiles.

Par cette belle soirée, les cédratiers, les jasmins et les orangers de la Mamounia exhalaient un parfum pénétrant, et la lune donnait à leur verdure sombre des reflets magiques. Il y avait fête ce soir-là dans le harem du grand vizir, et le bruit de la musique venait jusqu’à nous. Cette musique, le parfum du jardin, l’éclat de la lune, la majesté des kaïds qui nous précédaient, tout ce qui nous environnait était d’un effet si féerique, que nous pouvions nous croire transportés dans un conte des Mille et une nuits ou égarés dans quelque rêve fabuleux.

L’entretien a duré une heure, et le grand-vizir s’est résigné à faire droit à nos demandes ; il ne nous reste plus qu’à recevoir de