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précieux ; le santal, le benjoin, l’aloès, l’ambre gris et toutes sortes de plantes aromatiques, — des flacons d’essence de jasmin ou de cédrat, d’eau de rose ou de fleur d’oranger, — le hachich, appelé ici kief, — des médicamens pour guérir tous les maux et des drogues étranges pour ranimer les sens et pervertir la volupté.

A l’extrémité du sokkho, sur une petite place inondée de soleil et de poussière, grouille un foule compacte. C’est le marché aux esclaves. Une vingtaine de négresses sont là, exposées à demi nues, horriblement laides, mais fortement taillées pour les durs travaux auxquels elles sont destinées. Une d’entre elles cependant, très jeune, a les formes les plus délicates que l’on puisse voir, les reins cambrés, la taille souple et un peu longue, de fines attaches, un joli port de tête, des traits moins grossiers que ses compagnes, et dans tout son être une grâce un peu farouche qui lui donne un charme très original. L’impassibilité de ces créatures ne se laisse troubler ni par les cris du crieur public qui fait les enchères, ni par les attouchemens brutaux des acquéreurs, ni par l’idée qu’à cette heure leur sort se joue et qu’elles vont passer aux mains d’un maître nouveau. Leur physionomie ne reflète qu’une sorte de mélancolie animale. Elles ne sont ni révoltées ni résignées ; elles subissent leur condition, sans réfléchir à leur misère. Indifférentes, ne possédant plus qu’une conscience confuse d’elles-mêmes, elles se plaignent moins de leur sort que nous, dans notre naïveté, nous ne nous apitoyons sur elles.

Du marché nous sommes allés visiter les prisons. La grande prison de la ville se compose de salles voûtées, plus basses que le sol et éclairées par de petites ouvertures grillées. Plus de trois cents prisonniers sont là, les fers aux pieds, maigres, décharnés, malades. Le gouvernement marocain a trouvé une solution bien simple à l’un des plus délicats problèmes de la question pénitentiaire : il ne fournit aucune nourriture à ses prisonniers et laisse à leurs parens et amis, ou à la charité publique, le soin de leur faire passer des alimens. En revanche, il exige d’eux, à leur sortie, le paiement d’une taxe pour les fers, et d’un léger salaire pour le thaleb qui remplit les fonctions de greffier. Les femmes condamnées pour crimes et délits et les prostituées ramassées la nuit, par la ville, sont enfermées dans une prison spéciale, dont un quartier sert de lieu d’asile et de détention pour les fous. Quant aux juifs, ils sont détenus dans la grande prison, mais le cachot où on les jette n’est autre que la fosse d’aisance des prisonniers.


Maroc, le 12 mars.

Les juifs vivent encore au Maroc dans les conditions où ils étaient tolérés dans les pays d’Europe, au moyen âge. En butte au mépris