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contrefort détourné de l’Atlas qui détermine à l’ouest le bassin de l’Oued-Tensift, le grand fleuve près duquel est situé Maroc.

Par des sentiers rocailleux où nos bêtes de charge se blessent les pieds et s’abattent à chaque instant sous leurs fardeaux, nous gravissons à grand’peine la première ligne de faite. Le soleil darde de tout son éclat sur le roc dont la réverbération devient vite insupportable aux yeux. Nos casques indiens et nos grands haïcks blancs ne suffisent plus à nous protéger de la chaleur qui nous accable. Les ravins succèdent aux ravins, plus escarpés et plus rocailleux : une crête se dresse encore devant nous. Enfin, nous l’avons gravie, il est cinq heures et demie du soir, et voilà douze heures que nous sommes en marche.

Alors se développe subitement devant nous un tableau qui nous a bientôt fait oublier les fatigues de la route. Au pied de la montagne s’étend une plaine fertile de 5 kilomètres environ de largeur ; au-delà, une immense forêt de palmiers sous lesquels coule l’Oued-Tensift, fait une tache d’un vert sombre. Plus loin encore, au troisième plan, la ville de Maroc apparaît avec ses hauts minarets émergeant des jardins ; et enfin, dans le fond, très loin, s’élève l’Atlas comme argenté de lames de neige. Et sur ce splendide spectacle, le soleil, qui commence à baisser, met des teintes d’une délicatesse exquise : au-dessus de la ligne verte des palmiers, les minarets sont d’un rose pâle et leurs placages d’azulejos ont des reflets d’émeraude ; les terrasses, qui apparaissent au milieu de massifs touffus de verdure, sont d’un blanc sans éclat, presque laiteux ; une lumière douce est épandue dans l’air et enveloppe toute chose d’un voile léger ; seuls, les murs qui ceignent la ville conservent les tons chauds du rouge brique brûlée.

Un dernier effort, une heure de marche encore, et nous voici à la lisière de la forêt de palmiers, sur les bords de l’Oued-Tensift. Nous faisons halte près du vieux pont d’El-Kantara, à 10 kilomètres de Maroc, et tandis qu’un cavalier de l’escorte va jusqu’à la ville porter la nouvelle de notre arrivée, on dresse nos tentes, on décharge les bêtes, on prépare notre repas du soir.

Sous ces palmiers gigantesques dont les têtes se balancent à plus de 20 mètres de terre et forment comme un dôme de verdure, vingt ruisseaux, dérivés de l’Oued-Tensift, coulent à pleins bords, d’une eau claire qui laisse voir le fond. Le sol est tapissé d’une herbe épaisse que les rayons du soleil n’ont pu atteindre et dessécher à travers la toiture protectrice que l’entre-croisement des palmes fait au-dessus d’elle. Cette ombre, ces eaux vives, cette verdure intense, forment un contraste profond avec l’aspect brûlé et désolé des pays que nous venons de traverser ; une impression de fraîcheur, de bien-être et de repos s’en dégage et nous pénètre.