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qui en réduit la durée à huit heures environ. Mais il en serait autrement que les pouvoirs publics n’auraient pas à s’en mêler, ou bien il faudrait leur reconnaître le droit de s’immiscer dans tous les échanges et de tarifer toutes les marchandises. Les Cahiers de doléances reprochent vivement à certaines compagnies, du bassin de la Loire, d’encourager le doublage, c’est-à-dire d’autoriser les ouvriers à doubler la journée au moins une fois par semaine. Mais il suffit que le « doublage » ne soit pas obligatoire[1] pour que l’état s’abstienne. Encore une fois ni les exploitais ni les ouvriers ne sont ses pupilles : les uns et les autres ont été définitivement émancipés en 1791.

Quand on propose de réduire la durée du travail, on se garde, bien entendu, de proposer une réduction proportionnelle des salaires. Tout paraît légitime tant qu’il ne s’agit que d’appauvrir les exploitais. La production minérale a fait de tels progrès depuis trois quarts de siècle ! Mais, pour apprécier la situation de l’industrie minière, il ne suffit pas de supputer ce qu’elle produit, il faut encore se demander à quelles conditions elle produit. Nous saurons seulement alors si de nouvelles charges ne l’accableraient pas.

On comptait en France, au 1er janvier 1883, 637 concessions de mines de combustibles ; sur ce total, 308 étaient en activité, 329 inexploitées ou abandonnées ; sur les 308 mines en activité, 191 étaient en gain, 117 en perte, de telle sorte que 191 concessions sur 637, ou 30 0/0 seulement des houillères, rapportaient des bénéfices. Si l’on étend la statistique aux concessions de toute mature, au nombre de 1,319, comprenant à la fois les combustibles minéraux et les mines métalliques ou autres, on trouve que 263 concessions seulement, soit 20 0/0, donnaient un gain quelconque. Encore la situation a-t-elle empiré depuis deux ans. La grève d’Anzin n’a pas seulement coûté, pendant une assez longue période, 40,000 francs par jour à la compagnie. Elle a déplacé des courans commerciaux au profit de la Belgique, surtout au profit de l’Allemagne[2], et l’Economist, de Londres, a cru pouvoir constater il y a quelques mois, avec une satisfaction mal déguisée, le « dépérissement des puits de la régie. » Une délégation parlementaire s’est rendue à Saint-Etienne dans la première quinzaine

  1. Le doublage n’est pas obligatoire, sauf le cas de nécessité ou d’accident. (Cahiers de doléances, p. 56.)
  2. On écrivait de Denain, le 20 mars 1884 : « Les charbons étrangers nous envahissent ; chaque jour, on a le cœur serré à la vue de centaines de wagons jaunes et rouges qui nous encombrent de charbons allemands, vite réexpédiés sur la ligne de Paris par la compagnie du Nord. »