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l’évolution correspondante en France, offrent plus d’une leçon utile à recueillir.

Les auteurs cités en tête de cette étude ont eu la vue directe des documens de première main, le contact et la sensation d’une infinité de testes originaux. Cela ne se remplace pas. Le penseur politique, qui puise plus bas dans le courant formé paries sources mêmes qu’ils ont captées, doit être très circonspect dans ses dissentimens et très réservé dans ses objections. Toutefois les érudits ont comme les autres leurs passions et leurs préjugés, politiques ou nationaux, sans compter un penchant spécial à délaisser la solide et large chaussée historique de leurs devanciers pour le sentier plus étroit qu’ils ont ouvert de leurs mains et où ils ont commencé par marcher seuls ou en petit nombre. Les observateurs qui n’ont pas les mêmes raisons personnelles de préférence, ne trouvent pas toujours dans les raisons générales de quoi justifier ce changement de voie. Freeman, par exemple, se plaît à faire remonter le plus haut possible dans le passé les origines de la monarchie quasi-républicaine qui est son idéal politique[1]. Gneist rapporte volontiers à une source germanique tout ce qui se présente avec un caractère d’excellence. Augustin Thierry avait exagéré la profondeur et la durée de la séparation entre les conquérans et les vaincus ; il avait surfait en conséquence l’influence normande. Freeman et Gneist ne s’écartent pas moins de la ligne moyenne dans le sens opposé. Tous deux font entendre que la nation anglaise moderne n’est que la nation anglo-saxonne qui a retrouvé ses titres ; ils estiment que le gouvernement libre dont nous pouvons suivre l’évolution dans une période plus pleinement historique a non-seulement sa vague origine, mais son type plus ou moins arrêté dans la période antérieure à la conquête normande et que ce type se montrait déjà en traits grossiers et rares, mais fermes et distincts, au sein des vieilles communautés germaniques.

L’imagination se plaît à ces perspectives qui creusent et reculent l’horizon devant elle. Je n’ai garde de les dédaigner. L’état de la : société, à une époque très ancienne, peut être d’un grand enseignement politique quand on y cherche seulement des traits généraux de mœurs et de caractère, et, pour ainsi dire, les premiers plis nettement marqués du naturel national. Ces sortes d’investigations prêtent, au contraire, aux plus fâcheuses méprises quand on essaie de retrouver si loin de soi le détail d’institutions définies, d’en saisir l’opération régulière, et de faire voir comment les institutions postérieures en sont issues par voie d’élimination, d’addition ou de

  1. Freeman, Développement de la constitution anglaise (ch. III).