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n’auront aucun droit à la reconnaissance des donataires. Étrange manière, on en conviendra, de préparer l’union, d’assurer la solidarité du patron et de l’ouvrier[1] ! On aura d’ailleurs, en excommuniant la « charité, » porté le coup de grâce à beaucoup de fondations privées, hôpitaux, écoles, salles d’asile, cours d’adultes, orphelinats, crèches, économats, maisons ouvrières, que favorisait le mécanisme flexible des institutions anciennes et qui ne rentreront pas dans le cadre étroit des institutions officielles, comme s’il n’y avait pas toujours des faibles parmi les faibles et si l’on pouvait remédier d’avance à toutes les infortunes à l’aide d’un texte législatif ! Cependant si le régime actuel blesse les mineurs, pourquoi faire appel à la force ? pourquoi recourir à l’état ? Si les ouvriers, par un sentiment de fierté délicate ou pour s’inculquer à eux-mêmes le goût de l’épargne, veulent coopérer comme les exploitans au service des secours et des retraites, il suffit qu’ils les en informent. Personne, à coup sûr, ne refusera cette coopération. Comme ils donneront autant qu’ils recevront, le secours n’aura plus le caractère d’une aumône et chacun pourra puiser, sans rougir, au fonds de prévoyance qu’il aura formé. Mais ce sentiment de dignité personnelle s’égare lorsqu’il aboutit à remplacer un régime d’expansion libre et de commune indépendance par un système d’assistance obligatoire mis sous la main de l’état.


Les conseils de prud’hommes sont des tribunaux mi-partis de patrons et d’ouvriers, composés en nombre égal des uns et des autres. Le décret d’institution détermine, suivant l’importance du centre industriel et le chiffre probable des affaires, le nombre des membres de chaque conseil, qui doit compter au moins six juges. Quand le ressort du conseil ne comprend qu’un petit nombre de professions, les juges sont répartis de manière que chacune d’elles soit représentée ; s’il comprend beaucoup de professions différentes, le décret d’institution les divise en groupes d’industries similaires auxquelles on assigne un certain nombre de prud’hommes, proportionnel au nombre de patrons et d’ouvriers qui les exercent. Quand le président est un patron, le vice-président est un ouvrier, et réciproquement. Les prud’hommes ont jugé en 1878 dix mille affaires de moins qu’en 1868. Les ouvriers témoignent assez généralement une certaine indifférence pour cette institution, et plusieurs chambres syndicales en ont, dans ces derniers temps, réclamé la suppression. Toutefois les Cahiers de doléances des mineurs

  1. « Le salut du pays est dans l’union, dans la solidarité du patron et de l’ouvrier. » (Cahiers de doléances, p. 111.)