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compagnies l’ont fait souvent observer, finit presque toujours par retomber à la charge de l’exploitation, le taux des salaires tendant à s’élever, par la force des choses, d’une quote-part à peu près égale à la retenue.

En méconnaissant la liberté des patrons, on n’a guère mieux respecté celle des ouvriers. D’après trois projets sur quatre, ils doivent coopérer à l’établissement des caisses. Les caisses une fois fondées, trois projets sur quatre leur enjoignent de former par leurs contributions une partie du nouveau capital. La retenue sur les salaires est soit de 5 pour 100, soit de 6 pour 100, soit de 3 à 6 pour 100. « Le régime demandé par les ouvriers, a-t-on dit le 5 décembre 1883 devant la commission d’enquête, c’est de les amener à faire un effort personnel pour se créer des ressources. » C’est très douteux. Je lis, en effet, dans les procès-verbaux de la même commission : « M. Reyneau se déclare partisan de la retenue obligatoire ; cependant il est effrayé, comme législateur, de l’inscrire dans une loi et de l’imposer à tous les ouvrière mineurs. Il ajoute qu’au Creuzot, ou à Montceau-les-Mines, il n’est pas certain que les ouvriers acceptent cette obligation… Un délégué de la Creuse répond que, grâce à la pression exercée par la compagnie sur les ouvriers de Montceau-les-Mines, ceux-ci n’ont pas pu envoyer de délégué à la commission ; mais il croit pouvoir ajouter qu’à Montchanin et à Montceau-les-Mines les ouvriers « ont d’accord sur ce point. M. Reyneau dit qu’il a reçu cependant plusieurs lettres dans le sens contraire, invoquant la modicité des salaires. » Peut-être si fous les ouvriers étaient mis à même de s’expliquer librement, recevrait-on beaucoup de lettres pareilles. Il n’est pas démontré que notre régime de liberté pèse à la majorité des mineurs. Or le législateur excède son droit lorsqu’il entame le salaire, propriété de l’ouvrier, sans son consentement formel, même avec l’intention de le lui rendre sous une autre forme.

Il n’y a pas, d’ailleurs, deux façons de traiter cette question : il s’agit ici non de bâtir des systèmes, mais d’empêcher que les ouvriers manquent de pain. Un des délégués mineurs entendus par la commission législative croit pouvoir décidément résumer les vœux de ses camarades en demandant l’établissement d’une caisse « alimentée par une retenue de 5 pour 100 sur les salaires. » Or aucun prélèvement n’est exercé sur les salaires non-seulement par Anzin, Bruay et Le Creuzot, mais encore par Montrambert et La Béraudière, Roche-la-Molière et Firminy, Rive-de-Gier, La Péronnière, Aubin, Saint-Chamond ; et ces compagnies occupent 30,000 ouvriers, c’est-à-dire presque le tiers de notre population minière. Il n’y a pas, je crois, d’exploitans, en France, qui prélèvent sur les