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légère nuages éparpillés dans le ciel à une jonchée de feuilles de roses rouges.

Le lendemain, il fallut songer au départ. Nous nous quittâmes après de longues embrassades, en formant de beaux projets de retour à Damvillers pour les vacances de septembre, tandis que le grand-père, hochant sa tête chenue, murmurait mélancoliquement : « Qui sait si vous m’y retrouverez ? » et que Basse, Golo et Barbeau bondissaient en aboyant autour de l’omnibus, qui nous emportait avec un bruit de ferraille.

Nous ne revîmes Jules qu’un mois après, à l’ouverture du Salon, devant l’Amour au village, qui eut un plein succès. Il était souffrant et se plaignait de ses douleurs de reins, devenues plus aiguës ; puis tout à coup il disparut mystérieusement. La porte de l’atelier de la rue Legendre était close et on répondait aux visiteurs que le peintre était à la campagne. Nous ne sûmes que plus tard qu’il s’était caché pour suivre un traitement énergique et douloureux, et qu’à peine convalescent, il était allé respirer l’air de la mer en Bretagne, à Concarneau. Il y passait ses journées dans une barque, peignant des marines et trompant ses douleurs à l’aide du travail. Quand il revint nous voir en octobre, il paraissait rétabli, mais ses digestions étaient pénibles et sa gaîté habituelle était comme embrumée de mélancolie. Son caractère s’était modifié ; il n’avait plus de ces affirmations tranchantes dont se plaignaient parfois ses confrères ; il se montrait plus indulgent, avec des effusions de tendresse dont il n’était pas coutumier. Il ne séjourna pas longtemps à Paris, ayant hâte de rentrer à Damvillers pour se remettre sérieusement à la besogne. Il y arriva pour assister aux derniers momens du grand-père. L’aïeul s’éteignait, chargé d’années, mais cette mort, bien que fatalement prévue, frappait douloureusement ceux qui survivaient.

« La maison, écrivait-il, est vide à ne pas s’en faire idée. À chaque instant, il y a si peu de jours encore ! une porte s’ouvrait et le grand-père apparaissait, sans motif, sans but, sans parler ou sans qu’on lui parlât, mais la vue de sa bonne figure suffisait. On l’embrassait et il repartait comme avant, sans but, s’asseyant, allant au jardin, en revenant et toujours avec sa bonne figure. Je me rappelle maintenant qu’il pâlissait depuis quelques jours… Non, tu ne t’imagines pas combien la maison est maintenant vide. Je ne m’habitue pas encore à cette idée-là. Avec ma mère nous parlons souvent de lui, avec quel plaisir ! Ce n’est pas que nous le pleurions avec des larmes ; nous nous tenons beaucoup de raisonnemens, et, en apparence, nous sommes résignés et courageux ; mais derrière tout cela, il y a un douloureux sentiment d’effacement, de manque absolu.