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de rechange, en sorte que la plus légère avarie entraîne, pour un temps indéterminé, la mise hors de service de l’appareil. Lorsqu’une pièce quelconque, pour une cause quelconque, est détériorée, le malheur est grand : refaire une autre pièce, en admettant qu’on ait les matériaux nécessaires, demande un temps considérable. Si on possédait des rechanges, tout accident, pouvant être réparé sur l’heure, serait sans gravité. Mais nos arsenaux ne travaillent que pour les besoins urgens, connus, indiqués, non pour les besoins à prévoir. Nous avons déjà constaté, mais on ne saurait cesser de redire qu’on voit dans nos ports de guerre bon nombre de torpilleurs qui attendent depuis bien des années un appareil de lancement qu’on n’a pas même étudié pour eux ; en cas de guerre, personne ne saurait à quel genre d’armement ils peuvent être particulièrement appropriés.

Ainsi donc, soit en ce qui concerne la fabrication, soit en ce qui concerne le perfectionnement des torpilles, nous sommes dans un état d’infériorité notoire, éclatante, vis-à-vis des autres nations, qui ont toutes créé chez elles une usine spéciale où on construit et où on perfectionne cet engin de combat d’après des procédés qui restent cachés. Cela ne les empêche point d’acheter de temps à autre à M. Whitehead un modèle qui paraît supérieur aux autres ; mais elles travaillent surtout chez elles, et, si l’on nous passe le mot, elles travaillent ferme. Anglais, Russes, Allemands, suivant le précepte de la fable, ne se fient qu’à eux-mêmes. Nous, nous nous fions uniquement à M. Whitehead, dans la caisse duquel nous versons des millions, assurément bien placés, mais qui le seraient peut-être mieux dans une usine nationale. Il faut prévoir aussi l’hypothèse d’une guerre où M. Whitehead se verrait forcé de nous fermer ses ateliers. Cette hypothèse serait-elle absurde, par hasard ? On ne semble pourtant pas y avoir songé. Et, si elle se réalisait, nous n’aurions plus une seule torpille à mettre sur nos bâtimens, à moins d’organiser à la hâte, et, par suite, dans des conditions tout à fait déplorables, cette usine nationale à laquelle nous ne songeons pas en temps de paix. Enfin, si parfaits que soient nos derniers torpilleurs au point de vue de la navigation, leur appareil militaire est encore des plus incomplets, et là encore, si les hostilités venaient à éclater, les déceptions seraient grandes. Il faut donc rechercher les vices de notre organisation actuelle et les remèdes qu’on devrait y apporter au plus tôt.


III

A quoi tient l’état de choses que nous, venons de décrire ? Nous répondrons sans hésiter : à ce que nous n’avons ni l’outillage, ni