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après un court interrogatoire, trois furent passés par les armes, les autres furent mis aux fers à bord de la goélette. A dater de ce moment, la soumission fut absolue ; sous les ordres de Jusuf, qui savait leur imposer et les conduire, les Turcs purent être rangés au nombre des plus utiles serviteurs de la France. Ils en donnèrent dès le lendemain la preuve ; une trentaine d’entre eux s’offrirent pour tomber sur les maraudeurs qui avaient pénétré dans la ville. Après l’émouvante péripétie dont la kasba venait d’être le théâtre, Jusuf répondait d’eux ; ils se laissèrent glisser par la corde qui demeurait l’unique moyen de communication entre la citadelle et le dehors ; abrités par les haies et les broussailles, ils gagnèrent la porte de Constantine ; dès qu’ils furent à leur poste, deux ou trois bombes, lancées de la kasba, jetèrent la terreur parmi les pillards qui vinrent tomber dans l’embuscade ; plusieurs furent tués, d’autres noyés, de ceux qui, maraudant à travers le quartier de la Marine, avaient essayé de se sauver à la nage.

Assuré, désormais, de la fidélité des Turcs, le capitaine d’Armandy autorisa Jusuf à s’installer avec eux dans la ville ; dix matelots, tirés de la goélette, vinrent renforcer la petite garnison de la kasba, qui fut dès lors exclusivement française. Dans les premiers jours d’avril, quelques pauvres gens de Bône, échappés aux bandes de Ben-Aïssa, commencèrent à revenir. Enfin, du 8 au 12, arrivèrent les renforts expédiés d’Alger, où était parvenue, le 3, la première nouvelle de cette merveilleuse aventure ; c’était un bataillon du 4e de ligne, avec une quarantaine d’hommes de l’artillerie et du génie. A titre exceptionnel, quoiqu’il dût y avoir désormais à Bône un officier supérieur, le capitaine d’Armandy demeura investi du commandement de la place. Il ne tarda pas d’ailleurs à être promu au grade de chef d’escadron. Jusuf fut maintenu provisoirement à la tête des Turcs, qui furent régulièrement inscrits au service de la France avec une solde de 1 fr. 80 par jour, à la charge de se nourrir, de se vêtir et de s’équiper eux-mêmes.

Ils étaient logés, comme la partie des troupes françaises qui n’était pas casernée à la kasba, dans les maisons dont les propriétaires n’étaient pas revenus encore ; il en revenait néanmoins tous les jours ; mais combien d’entre eux retrouvaient autre chose que.des ruines ? Quand le détachement du génie eut visité le mur d’enceinte, fermé les brèches qui n’étaient pas considérables, réparé la porte de Constantine, démuré celle de la kasba, il s’occupa de dégager les principales rues obstruées par les décombres. Il y avait aussi à curer les égouts, qui étaient infects, et, ce qui importait davantage encore, à retirer des citernes les cadavres que la férocité des bandes de Ben-Aïssa y avait précipités. Des corvées