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toutes les habiletés et échappé à toutes les pressions. Encore une fois, il ménage peut-être à ceux qui l’ont voté plus d’une surprise, et ce serait une étrange prétention de dire d’avance ce qu’il peut produire, surtout dans des momens où le pays serait sous le coup de vives et pénibles impressions, où la France se sentirait par trop excédée d’une politique qui ne lui a procuré jusqu’ici que des mécomptes, des charges nouvelles, avec le spectacle de toutes les médiocrités agitatrices.

Si les affaires de l’Europe sont souvent si embrouillées et si obscures par elles-mêmes, sur le vieux sol de l’Occident, qu’est-ce donc lorsqu’elles se compliquent de toutes ces questions qui, depuis quelque temps, ont envahi la politique ? On dirait que les gouvernemens n’ont d’autre souci que d’ajouter des difficultés nouvelles aux difficultés déjà assez graves qui naissent d’une série de bouleversemens européens, qu’ils tiennent à se donner de l’occupation ou des émotions avec ces conquêtes et ces expéditions lointaines devenues la passion du jour. — C’est la loi du monde, dit-on. Les vieilles nations ont un besoin irrésistible de se répandre, de porter au loin leur activité et leur industrie. La civilisation déborde sur la barbarie et va transformer les îles, les continens occupés jusqu’ici par des peuplades sauvages ou par des races dégradées. S’il y a aujourd’hui des luttes à soutenir, des sacrifices à accepter, on prépare de nouveaux débouchés au commerce, de nouveaux théâtres au génie humain. — C’est possible, l’avenir en décidera. On saura plus tard ce qui sortira pour l’Europe de ce mouvement d’expansion poursuivi à la fois sur tous les points du globe, au cœur de l’Afrique, sur les bords inconnus du Niger et au Tonkin, sur les frontières de la Chine, au Soudan et dans les régions centrales de l’Asie. Pour le moment, tout cela reste assez énigmatique et passablement périlleux. On est un peu à la merci de l’imprévu, au milieu de tous ces problèmes qu’on a soulevés et des incidens qui se pressent, qui mettent à l’épreuve toutes les alliances. Les antagonismes, pour se déplacer, pour se transporter au loin, n’en sont pas moins vifs, les conflits naissent d’eux-mêmes, et il y a des instans où, entre de grands gouvernemens poussés par une sorte de force des choses, mis subitement en présence sur une frontière inconnue, la paix semble tenir à un fil. Le cabinet de Londres en fait l’expérience avec ce différend anglo-russe qui vient de s’élever tout à coup en pleine Asie, aux confins de l’Afghanistan, et qui est un des plus récens, un des plus graves épisodes de cette étrange phase que nous traversons.

L’Angleterre est certainement aujourd’hui une des nations les plus embarrassées, les plus engagées, par la multiplicité de ses intérêts dans toutes les parties du monde, par des traditions de prépondérance auxquelles elle ne peut pas ou ne veut pas renoncer. Elle s’est trouvée depuis quelque temps aux prises avec des difficultés sérieuses qu’elle aurait pu prévenir avec un peu plus de clairvoyance, qu’elle