Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/713

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moyens de remplir leur mission. A tous les momens de cette malheureuse expédition, la vérité a sauté aux yeux des observateurs désintéressés. Après la mort de l’infortuné Rivière, comme après l’échauffourée de Bac-Lé, on a signalé le danger ; on n’a cessé de dire, de répéter que les renforts arrivaient toujours trop tard, que si, à l’origine, il y avait eu quelques milliers d’hommes, bien des complications auraient été sans doute prévenues, que si, l’an dernier, il y avait eu vingt ou vingt-cinq mille hommes, on aurait été vraisemblablement en mesure de trancher ou de dominer les difficultés. Même dans ces derniers temps, après l’envoi de forces nouvelles qui étaient encore insuffisantes, il était trop clair que nos généraux étaient à chaque instant arrêtés, contrariés dans leurs opérations parce qu’ils manquaient d’hommes. Ils ne demandaient pas de renforts, dit-on ; c’est leur situation tout entière qui les réclamait ! On pouvait le voir et le savoir ; mais il y a mieux. Dès le début, il y a deux ans, un diplomate qu’on a étourdiment désavoué, M. Bourée, adressait au gouvernement une lettre presque prophétique où il le prévenait de tout ce qui arrive aujourd’hui. M. Bourée disait nettement qu’on ne savait pas ce qu’on entreprenait, qu’on allait à une guerre des plus graves, qu’on aurait sur les bras des masses considérables qui tiendraient tout le pays, qui envelopperaient nos colonnes et entraveraient leurs mouvemens ; il ajoutait que, si on pouvait compter d’abord sur de faciles succès, « la lutte prendrait bientôt un caractère plus sérieux, à mesure que des contingens exercés arriveraient du nord, pourvus d’armes à tir rapide et d’une excellente artillerie. » Certes les avertissemens n’ont pas manqué. Qu’a-t-on fait cependant ? On n’a rien écouté. On a laissé nos généraux se débattre ; on leur a mesuré les renforts, pour ne pas désobliger ou effrayer les électeurs ; on a caché la vérité au parlement pour avoir sa complaisance ; et le résultat est qu’on se réveille aujourd’hui en face d’un échec qui met la vérité toute nue sous les yeux du pays, dont l’unique coupable est la plus imprévoyante des politiques.

Et maintenant comment sortir de là ? A quelles résolutions va-t-on s’arrêter pour le bien et l’honneur de la France ? Il y a deux ordres de faits dans cette situation qui vient de se déclarer, d’éclater en quelque sorte à tous les yeux. Avant tout, sans plus de retard, il faut songer à cette armée qui combat au loin et aux conditions inégales, difficiles, précaires où elle se trouve, où elle peut avoir à subir des épreuves nouvelles. L’obligation qui domine toutes les autres est de secourir cette armée, de maintenir l’ascendant de notre drapeau à tout prix, sans rien négliger, sans marchander les forces et les subsides. Sur ce point, les mesures les plus pressantes paraissent déjà prises, ou du moins résolues. Un crédit de 200 millions est demandé aux chambres, et au ministère de la guerre tout serait préparé pour l’expédition de contingens qui formeraient cette fois une véritable armée. On vient