Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/710

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tableau d’histoire ou de nature ; c’est le massacre des protestans dans le vieux Paris ; ce sont des terres inconnues, des îles mystérieuses, où l’océan dort à l’ombre du mancenillier. Un opéra de Meyerbeer, c’est une œuvre complexe, et cependant homogène ; c’est un drame avec des personnages humains, des types dont on se souvient.

Est-il un seul des personnages de M. Verdi, sauf Aida, et encore, que vous connaissiez, que vous aimiez, auquel Vous trouviez le relief de la vie ? Votre mémoire distingue-t-elle Gilda de Violetta, d’Elvira, d’Amalia ou des autres ? Et le duc de Mantoue, et Alfredo, et Ernani, et tous ces ténors qui changent de costume, mais pas de romance ! Ils font l’effet d’aimables marionnettes auprès des héros de Meyerbeer, d’un Jean de Leyde ou d’un Raoul de Nangis. Le fond manque également aux tableaux de M. Verdi, ce fond que Meyerbeer brossait de main de maître. La peinture est plate, sans dessous. Jamais dans Rigoletto la foule, le peuple n’intervient. On ne peut appeler chœurs deux ou trois unissons plus que médiocres qui rappellent un ensemble justement ridiculisé de la Favorite. Ces grands seigneurs de la renaissance font triste figure ; on les a déjà vus brigands dans Ernani ou bohémiens dans la Traviata. Au moins les choristes de l’Opéra ne se plaindront pas cette fois : on leur épargne la besogne. Qui donc contait qu’un jour, sous la dernière direction, ils s’étaient refusés à faire les gestes ? Rigoletto ne leur eu demande guère. D’ailleurs ils ont moins mal chanté que de coutume, mais vraiment ils n’y ont pas grand mérite.

Quant à M. Lassalle, le rôle de Rigoletto est à tout point de vue en dehors de ses moyens. Il le chante et le joue avec lourdeur, avec emphase. Ni sa taille, ni sa voix ne se prêtent au personnage. Et puis quel dommage que cette voix, la seule qui porte pleinement à l’Opéra, n’y porte pas toujours juste ! M. Lassalle a chanté faux plus d’une fois dans Rigoletto ; il nous coûte de le dire, comme il nous a coûté de l’entendre.


C. BELLAIGUE.