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la substance même de la religion que d’appeler l’exemple d’une vie toute chrétienne sur « le premier trône du monde » une matière insuffisante ; et c’est outrager à la fois Bossuet dans sa fidélité de sujet et dans sa simplicité de croyant que d’imaginer un instant qu’il ait pu trouver sa tâche ingrate ou médiocre. « Au temps des Basile et des Chrysostome, dit excellemment M. Jacquinet, le panégyrique chrétien ne célébrait devant les autels d’autre gloire que celle des plus pures et des plus exemplaires vertus, et plus d’une fois ces grandes voix de la primitive église avaient trouvé dans l’éloge d’un obscur et parfait chrétien les inspirations les plus touchantes et les plus beaux accens. Soyez sûr, quoiqu’on ait plus d’une fois supposé le contraire, que Bossuet ne sentit en aucune façon l’embarras que le génie lui-même ne saurait éviter en présence d’une matière infertile, le jour où il se vit appelé à prendre la parole devant le cercueil de cette reine. » Malheureusement pour lui, dans l’un comme dans l’autre cas, ses préjugés de « libre penseur » ont aveuglé M. Deschanel, et il n’a point vu parce qu’au fait avec sa manière d’entendre la « libre pensée » il ne pouvait pas voir.

Une dernière preuve, au besoin, en serait la dédaigneuse légèreté dont il traite les questions philosophiques de tout ordre qui se trouvent enveloppées dans ce qu’il appelle, de son autorité, la théologie surannée de Bossuet. Il ne lui parait pas singulier seulement, il lui paraît étrange, et même divertissant que le Dieu de Bossuet ait puni sur Charles Ier la faute ou le crime d’Henri VIII ; mais il trouvera sans doute naturel que la fortune, comme l’enseignent les historiens de son école, ait vengé sur Louis XVI les excès de Louis XIV ; et il ne se doute pas d’ailleurs qu’il soit en présence ici du redoutable problème de la réversibilité de la justice. Il plaisante agréablement sur ce « mystère de la prédestination et de la grâce » qui fait le nœud, pour ainsi dire, de l’Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre ; mais si l’on met à la place des mots de grâce et de prédestination ceux de déterminisme et de fatalité, je suis bien sûr qu’il croira les entendre ; et il ne se doute pas d’ailleurs que c’est ici toute la question du libre arbitre qui s’agite. Ou encore, en lisant le Discours sur l’histoire universelle, il trouve que Bossuet se fait de Dieu, décidément, une idée « un peu bizarre ; » et il ne se doute pas que, dans cette idée qui lui semble bizarre, c’est le problème lui-même de la Providence qui est en jeu, ou, de quelque autre nom qu’on l’appelle, la question de savoir si l’humanité est maîtresse du terme de ses destinées.

Ne nous étonnons pas, après cela, qu’il trouve que Bossuet « manque d’idées, » puisque non-seulement il ne l’a pas tout lu, mais que, ce qu’il en a lu, il ne l’a pas compris. Il ne s’explique pas d’ailleurs, et pour cause, sur ce « manque d’idées ; » il se borne à le constater ; et