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les gouverne qu’en les repaissant d’espérance. L’Angleterre a-t-elle promis aux Italiens de leur donner tout ce qu’ils désirent ? Nous doutons que l’égoïsme britannique se mette en peine de les satisfaire ; mais c’est quelque chose que d’espérer.

On connaît l’histoire de ces trois Téménides qui s’enfuirent d’Argos dans la Haute-Macédoine et servirent chez le roi de Lebaea comme domestiques à gages, les deux aînés menant paître les chevaux et les bœufs, Perdiccas, le plus jeune, s’occupant du menu bétail. En ce temps de mœurs simples, la femme du roi pétrissait elle-même pour ses serviteurs. Le pain de Perdiccas doublait toujours de grosseur en cuisant, et le roi, inquiet de ce prodige, commanda aux Téménides de déguerpir au plus vite de sa maison. Avant de se mettre en route, ils exigèrent qu’il leur payât leurs gages, et lui, comme le soleil entrait dans la chambre par l’ouverture de la cheminée, le montrant du doigt sur le plancher : « Payez-vous de ceci, leur dit-il ; c’est tout ce que vous valez. » Perdiccas, sans sourciller, lui répondit : « Sire, nous acceptons le salaire que tu nous donnes. » Puis se couchant à terre, par trois fois il ramassa des rayons, qu’il enfouissait sous sa robe, après quoi il partit. A quelque temps de là, il avait conquis la Macédoine. Comme Perdiccas, l’Italie a vu des miracles s’opérer en sa faveur et son pain doubler dans le four où elle le faisait cuire. Elle se flatte de rendre des services aux Anglais ; ils lui offriront volontiers un peu de soleil à titre de paiement. Celui de Massouâh est brûlant, on assure que c’est l’endroit du monde où il fait le plus chaud. L’Italie semble avoir accepté ce salaire, mais elle se promet bien de n’en pas rester là. Massouâh est peut-être le chemin détourné qu’il faut prendre pour aller au bonheur et à Tripoli.

Les prophètes de malheur qui, au lendemain de nos désastres, nous traitaient de peuple fini et annonçaient bruyamment que nous étions au bout de notre rôle et de nos destins, que notre succession était ouverte, s’étaient trop hâtés de désespérer de nous. Après les horreurs de la guerre, nous avons connu toutes les confusions de l’anarchie, et pourtant nous ne laissons pas de vivre. M. Rothan raconte qu’à son retour d’Italie, lorsque la commune agonisait et que les troupes massées au bois de Boulogne venaient de franchir l’enceinte, il fut chargé, par le département des affaires étrangères, de reprendre possession du palais du quai d’Orsay. Quelques heures plus tard, il en faisait arracher un pavillon rouge, que remplaça aussitôt le drapeau national. Mais qu’étaient devenus les papiers d’état dans cette effroyable tourmente ? Il se trouva que le délégué de la commune aux relations extérieures n’avait eu sous ses ordres qu’un employé, auquel il confia la garde des archives, et que cet employé, dont le nom est resté inconnu, était un homme modeste, laborieux, qui ne s’intéressait pas à