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de 4,000 ; la mortalité heureusement était faible en proportion du nombre des malades. Il fallut évacuer presque entièrement les postes les plus malsains, et chercher en arrière de la Ferme modèle et de la Maison-Carrée quelques emplacemens un peu moins insalubres.

« Nous sommes menacés d’une attaque qui ne nous inquiète guère, nous autres qui savons ce que c’est, écrivait, le 10 août, un officier d’état-major ; mais le duc de Rovigo en perd la tête ; il devient fou par l’approche d’un danger qu’il s’exagère. Hier, dans une espèce de conseil où nous étions une vingtaine, il a sérieusement parlé de mettre dans les vasques des fontaines qui sont sur la route par où nous sortirons en cas d’attaque, de l’eau-de-vie et du sucre, de façon à faire une espèce de grog que les soldats boiraient en passant, le tout pour les empêcher de se gorger d’eau. Il nous a conté dix autres absurdités de la même force. Je l’ai vu beaucoup depuis quelques jours, parce que le général Trézel avait mal au pied et que j’allais au rapport à sa place. Où diable Bonaparte avait-il péché ce ministre-là ? Et pourtant cet homme a fait ici de bonnes choses, mais la peur lui fait tourner la tête, et puis, il est d’une telle versatilité que trois ou quatre fois dans un jour il change d’avis et d’idée. »

Tandis que le duc de Rovigo menaçait de tomber au niveau du général Berthezène, tout semblait avoir rétrogradé d’un an avec lui ; on revoyait, comme en 1831, Sidi-Saadi proclamant la guerre sainte, Ben-Zamoun descendant des montagnes, toutes les tribus se levant à la fois. La seule différence était qu’il y avait un agha, et que cet agha jouait un jeu double, d’un côté tendant la main à l’insurrection, de l’autre, se faisant auprès des Français un mérite de leur révéler ce que tout le monde savait et voyait. Enfin, au moment de quitter Koléa pour se joindre aux insurgés, il envoya air duc de Rovigo son lieutenant Hamida, avec la protestation d’un dévoûment qui, momentanément paralysé par la violence, ne désespérait pas de pouvoir faire encore ses preuves. L’artifice était trop grossier, la manœuvre trop impudente. Ce fut le malheureux Hamida qui en porta la peine ; jeté en prison, menacé du conseil de guerre, il mourut, dit-on, de frayeur. Tout ce qu’il y avait de valide dans les troupes était prêt à marcher au dehors pour la garde d’Alger. Un arrêté du 21 septembre institua une garde nationale ; tous les Français, depuis vingt ans jusqu’à soixante, étaient appelés à en faire partie ; quatre compagnies de 100 hommes furent mises immédiatement sur pied, avec un peloton de 30 gardes à cheval pour le service des ordonnances. Ce même jour, dans une reconnaissance poussée par les chasseurs d’Afrique aux environs de la Maison-Carrée, l’un des principaux instigateurs de l’insurrection,