Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/660

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intervenir que dans des cas exceptionnels. A partir de 1811, elles prirent l’habitude d’intervenir très souvent, et des taxes parurent chaque fois que le cours des farines variait notablement. Chose curieuse, les taxes périodiques, dont les boulangers se sont plaints si vivement, furent demandées à l’origine par leur chambre syndicale, et le système prévalut malgré le comité de l’intérieur du conseil d’état. La chambre syndicale préférait sans doute un mal chronique à des crises imprévues. Mais les taxes de 1823 donnèrent aux boulangers un sujet de mécontentement immédiat.

Elles étaient fixées d’après trois élémens d’information : le prix de la farine, le rendement de la farine en pain, les frais de panification. L’administration fut accusée, pour le rendement, d’avoir adopté un chiffre trop élevé, et, comme dit le vieux proverbe, d’avoir voulu contraindre les boulangers à tirer trop de moutures du même sac.

Il est clair que ce rendement dépend de la quantité d’eau mêlée à la farine ; et que les proportions du mélange ne peuvent pas être mathématiquement définies. La forme qu’on donne au pain, avant de le faire cuire, influera sur les résultats, en augmentant ou diminuant la surface d’évaporation. Un pain très allongé ou très aplati contiendra beaucoup de croûte, très peu de mie et très peu d’eau. Le mode de fabrication doit aussi avoir son influence sur le rendement. Bref, d’après des essais et l’expérience acquise, l’administration déclara que du sac de farine pesant 159 kilogrammes toile comprise, de cette antique poche à farine employée depuis le temps de saint Louis, on tirait non plus cent pains, mais cent deux pains de quatre livres. Depuis lors, cette proportion a été admise dans des estimations très modérées : en 1858, les boulangers eux-mêmes admettaient que le rendement peut aller jusqu’à cent quatre pains. Nous avons vu que les directeurs de l’usine Scipion l’estimaient à cent huit.

Ce fut là cependant l’occasion de grandes fureurs ; et les boulangers n’ont pas encore pardonné à Louis XVIII les cent deux pains de M. Delavau. Le préfet de police ne leur permettait pas même ces petites erreurs de poids qui sont quelquefois tolérées. Ils devaient avoir des balances sur leur comptoir et s’en servir à toute réquisition d’un client grincheux. Aussi la boulangerie devint ultra-libérale et il est permis de croire qu’à Paris elle suscita au gouvernement plus d’ennemis que ses efforts pour abaisser le prix du pain ne lui concilièrent d’amis. Nous le disions en commençant : le petit commerce est trop voisin du peuple pour être impopulaire, et ses abus lui sont aisément pardonnes. Ajoutez qu’en se mêlant de régler le prix du pain, un gouvernement se risque dans une périlleuse aventure :