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Le premier consul, occupé avant tout des nécessités de la guerre, et craignant d’être troublé dans ses grands desseins, voulait éviter les mouvemens populaires provoqués par la hausse du prix du pain. Il avait vu sous la Terreur les attroupemens se former à la porte des boulangers et savait que les émeutes commencent souvent par le pillage de leurs boutiques. D’accord avec son préfet de police, M. Dubois, et malgré les résistances du ministre de l’intérieur Chaplal, il autorisa la taxe du pain et prépara un règlement de la boulangerie. Le prétexte de cette mesure fut la rareté du blé en 1801 ; la récolte avait été médiocre, surtout en Flandre et en Picardie. De Beauce et de Brie, où elle avait été meilleure, de grandes expéditions de blé se faisaient vers la Normandie ; et la police prétendait que, malgré la guerre, beaucoup de grains partaient, en contrebande, pour l’Angleterre. Les agriculteurs semblaient avoir désappris le chemin du marché de Paris ; — et le pain de quatre livres s’y payait 0 fr. 80, — le blé 26 fr. 67 l’hectolitre.

M. Dubois, entrant un jour chez le général Bonaparte, vit sortir des Tuileries M. Fox et le maire de Londres : « Eh bien ! Dubois, dit le premier consul[1], nos voisins s’en rapportent au commerce libre pour assurer l’approvisionnement. Cela n’empêche pas les attroupemens et le pillage des boutiques ; mais alors ils n’hésitent pas à tirer sur le peuple pour rétablir l’ordre. — Général, lui dit le préfet, je crois qu’on peut maintenir la tranquillité sans recourir à ces moyens extrêmes, et je pense que le plus sage, à Paris, est de revenir à de bons règlemens de la boulangerie et de la boucherie. — Mais, avec vos règlemens, me garantissez-vous que le prix du pain ne dépassera jamais dix-huit sous les quatre livres ? C’est la limite extrême au-dessus de laquelle l’ouvrier ne peut se nourrir ni nourrir sa famille. Pouvez-vous imposer aux boulangers de ne jamais excéder ce prix ? — Oui, général, je me charge d’y parvenir. — Faites, dit le premier consul, et agissez comme vous voudrez, sous votre responsabilité. — Dois-je soumettre au ministre de l’intérieur les mesures que je compte prendre ? Dans ce cas, je suis sûr de n’avoir l’autorisation et la réponse de ses bureaux que quand la disette sera finie. — Eh bien ! agissez directement : si vous ne réussissez pas, votre place me répond de l’insuccès. »

Cette place était celle de conseiller d’état, à laquelle aspirait M. le préfet de police. Il l’obtint peu de temps après, ayant réussi à assurer l’approvisionnement de Paris à de bonnes conditions, mais par des moyens tout différens de ceux que M. Fox et le lord mayor de Londres, avaient exposés au premier consul. A Londres

  1. Rapport de M. Le Play, p. 41.