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Devançant encore ici l’Europe dans les voies de la liberté, Henri IV laissa tomber en désuétude, même pour cette dernière sorte de pain, le régime réglementaire. Mais une ordonnance de 1619 remit en vigueur la corporation des boulangers, dont le privilège fut ultérieurement confirmé par les lettres patentes de 1658 et de 1783. En ce qui concerne la taxe, au contraire, les principes d’Henri IV prévalurent définitivement. La taxe du pain de luxe, rétablie une dernière fois en 1577 dans un acte émanant du souverain, ne figure plus dans aucun règlement général postérieur au XVIe siècle. On n’en trouve plus aucune trace dans les lettres patentes dont je viens de rappeler la date… Les régimes de la corporation et de la taxe (au XVIIIe siècle) concernaient seulement la fabrication du pain de luxe ; quant au pain de ménage, on le vendait dans un régime de libre concurrence, que les autorités préposées à la police des subsistances développaient en se conformant à des traditions séculaires autant que le permettait la nature des choses. La masse de la population se nourrissait de ce pain de ménage… »

Et il ne faut pas croire que le régime de la corporation fût soumis à des règles très étroites et empochât la concurrence. Le pain de ménage, au XVIIIe siècle, était vendu concurremment par les deux cent cinquante boulangers privilégiés, dits boulangers de petit pain ; par six cent soixante boulangers établis dans les faubourgs ; enfin, par neuf cents boulangers des villes de Saint-Denis, Sceaux, Villejuif, Gonesse, Saint-Germain, Corbeil, etc.

Les faits que M. Le Play affirme avec une autorité incontestable sont de nature à modifier les idées qu’on pouvait se faire de la situation des boulangers sous l’ancien régime. Assurément, pour le commerce des grains, la liberté n’existait pas ; la crainte des accaparemens, la peur des disettes, et, comme dit Delamare, le désir d’éviter les regrats perpétuels, avaient soumis ce commerce à mille entraves. Mais il est permis d’affirmer que le commerce du pain était libre, puisque, dans l’immense majorité des cas, les prix se traitaient de gré à gré. L’administration de la police publiait tous les mois la mercuriale, et elle en déduisait le poids que devait avoir le pain de luxe ; non pas le prix, car ce pain était vendu, comme il arrive souvent encore aujourd’hui, à prix fixe, avec un poids variable.

On peut se demander pourquoi la police taxait le pain de luxe plutôt que le pain de ménage. C’était, dira-t-on, s’occuper des intérêts des riches et négliger ceux du peuple. Ce serait là juger trop vite et se laisser tromper par des apparences. Presque tout le monde mangeait du pain de ménage, et la vente et l’achat se faisaient librement. « Aucun administrateur de l’ancien régime n’avait