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pas fini ; après la substitution de la violence à la justice, il y eut une odieuse profanation de la justice. Quatre hommes de la tribu avaient été par hasard épargnés ; deux s’échappèrent ; les deux autres passèrent en conseil de guerre. Les débats prouvèrent à peu près que ce n’étaient pas des Ouffia, mais des Khachna, qui avaient dépouillé les envoyés de Farhat ; les accusés devaient donc être absous, ils furent déclarés coupables ; les acquitter, c’eût été reconnaître implicitement l’innocence des Ouffia et condamner la précipitation du général en chef ; l’un des juges osa faire publiquement cet indigne aveu. Au moins s’attendait-on à la grâce ; le duc de Rovigo s’y refusa durement : un exemple, disait-il, était nécessaire. Les malheureux furent exécutés. Ce ne fut pas tout ; pour compromettre encore plus dans sa détestable cause ceux qui avaient été les exécuteurs de ses ordres, il leur fit distribuer, le prix du sang, l’argent produit par la vente des troupeaux de la tribu détruite : aux chasseurs d’Afrique, 14,000 francs ; 10,000 à la légion étrangère, 800 aux guides arabes qui avaient conduit la colonne.

C’était fini de la paix. Mis en suspicion par le général en chef, ce n’est pas l’agha qui pouvait être tenté de sacrifier à l’autorité française ni même d’employer en sa faveur la grande influence qu’il exerçait personnellement sur les Arabes. Le massacre d’El-Ouffia avait eu un lointain retentissement ; des représailles se préparaient. Le 25 mai, devait commencer une grande opération mi-partie agricole et militaire ; sous la protection de deux bataillons d’infanterie et d’une batterie de montagne, le 1er régiment de chasseurs d’Afrique allait faucher les foins magnifiques qui foisonnaient aux environs de la Maison-Carrée, sur les deux rives de l’Harrach, et pour le transport desquels l’intendant militaire avait fait marché avec les cheikhs de Beni-Khelil, de Beni-Mouça et de Khachna. Le 24, au point du jour, 25 hommes de la légion étrangère et 20 chasseurs d’Afrique étaient envoyés en reconnaissance dans la plaine ; le commandant Salomon de Musys, de la légion, et un officier du génie marchaient avec eux ; une compagnie de grenadiers venait assez loin en arrière. A une lieue de la Maison-Carrée, au coin d’un petit bois, la reconnaissance déboucha tout à coup en face d’une grosse troupe d’Arabes, masqués auparavant à sa vue par le taillis. Il y avait là un marabout ; le commandant y adossa son infanterie en lui recommandant de tenir ferme jusqu’à l’arrivée des grenadiers, dont il allait, avec les chasseurs d’Afrique, presser la marche. A peine se fut-il éloigné que les Arabes attaquèrent ; malheureusement, après avoir fait une décharge qui coucha par terre une vingtaine d’hommes et de chevaux, les fantassins de la légion s’imaginèrent que dans le bois la résistance leur serait plus facile ; pas un