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toute indépendance, ressemblèrent plutôt à des employés publics qu’à des négocians ordinaires. Dans un mémoire adressé en 1858 à M. le préfet de police, ils disaient encore : « Nous reconnaissons sans rougir que nous sommes de simples ouvriers, fabriquant à façon, et fournissant la matière dont l’administration fixe le prix. »

Ce régime de tutelle administrative était fort ancien, bien antérieur à la loi de 1791. Pour trouver un temps où la boulangerie fut à peu près libre, il faut remonter au règne de saint Louis. On lit dans le Livre des métiers : « Quiconque veut être blatier, c’est à savoir : vendeur de blé à Paris, être le peut franchement, par payant le tonlieu (droit de marché), et la droiture (taxe), que chacun des grains doit. Il peut avoir autant de valets et d’apprentis qu’il lui plaît. » Le blatier, — marchand de blé, — pouvait en faire du pain : Philippe le Bel étendit à tous les bourgeois le droit de cuire à domicile. Plus tard, le blatier s’appela talmelier. Au moyen âge, le nom de boulanger était réservé à l’ouvrier qui tamisait la farine pour en séparer le son : elle lui était livrée « à l’état de boulange. »

« En plein moyen âge, disait ici même M. André Cochut, on trouve la boulangerie parisienne à peu près libre. » Et M. Le Play en dit autant des marchands de blé : ils jouissaient d’une liberté à peu près complète, au temps de saint Louis[1]. Depuis lors, de nombreux règlemens furent imposés au commerce du blé, à la meunerie, à la boulangerie. Beaucoup nous semblent fort étranges, surtout lorsque l’historien ou le juriste nous exposent en quelques pages, en les resserrant les unes auprès des autres, les mesures prises à travers une période de quelques siècles. D’après M. Cochut, les rois avaient compris d’abord que le meilleur moyen de combattre les seigneurs privilégiés était de créer à côté d’eux des industries libres : saint Louis défendit d’établir les fours banaux dans les villes. Philippe Auguste déjà avait « compris que les banalités, si on les exerçait à la rigueur, donneraient aux seigneurs le monopole de l’alimentation publique, et feraient d’eux les maîtres du royaume[2]. » Mais, à mesure que le pouvoir royal fut augmenté, les règlemens se multiplièrent. « Le régime réglementaire, a dit M. Le Play, ne commença guère à se constituer qu’au XIVe siècle, et c’est surtout de la dynastie des Valois que datent, en ce genre, la plupart des innovations signalées comme de mémorables découvertes de l’esprit humain par l’écrivain le plus

  1. Le Play, 2° rapport au conseil d’état sur les commerces du blé, de la farine et du pain, p. 31. Paris, 1860.
  2. A. Cochut, le Pain à Paris. Voyez la Revue du 15 août 1863.