Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/638

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourquoi le peuple de Paris et ses représentans ont considéré la question de la taxe du pain avec autant de calme. C’est qu’au fond cette question a pour les ouvriers bien moins d’intérêt qu’on ne pourrait croire. Le pain est généralement livré à 0 fr. 70 les 2 kilogrammes. En d’autres termes et suivant les vieilles mesures qui sont ici restées en usage, le pain de à livres coûte la sous. Quelle sorte de pain ? Le meilleur, le pain de première qualité : l’ouvrier parisien n’en veut point d’autre. C’est là son luxe, le modeste luxe de table qu’il se permet. L’ouvrier, si peu difficile quand il s’agit de boisson, ne veut manger que le pain le plus blanc. Les boulangeries de Paris ne lui en livrent pas d’autre ; et si l’on veut trouver du pain bis à Paris, il faut le chercher dans quelques établissemens des beaux quartiers et sur la table des riches.

Si l’on adoptait la taxe proposée, le prix de ce pain de 4 livres de première qualité serait diminué de 0 fr. 05 : le prix de 0 fr. 65 deviendrait général au lieu du prix de 0 fr. 70. Serait-ce un grand bienfait pour la classe ouvrière ? Serait-ce un notable allégement de ses charges, un sérieux progrès de son bien-être ? Une famille de quatre personnes ne consomme qu’un pain par jour ; l’économie serait de 0 fr. 05 : économie presque négligeable, car si l’ouvrier travaille, il ne s’apercevra pas de la différence, et s’il manque d’ouvrage, ce sera là un faible remède à sa misère.

Cette économie lui serait bien facile à réaliser. La préférence exclusive pour le pain blanc part d’un véritable préjugé. Les boulangers peuvent offrir, avec un rabais de 0 fr. 06 à 0 fr. 07 par kilogramme, un pain préparé avec des farines dites de seconde qualité tout aussi agréable au goût que le pain de première qualité. Les savans s’accordent même à le déclarer plus nourrissant. La farine de seconde qualité est obtenue par une seconde mouture » des gruaux qui ont résisté à la première et qui restent sur le tamis : ces gruaux sont des fragmens de la partie extérieure des grains de blé ; or, dans ces grains, qui contiennent, comme on sait l’amidon, matière non azotée, et le gluten, matière albuminoïde, l’amidon est surtout au milieu et le gluten dans l’enveloppe. La farine blanche de la première mouture doit donc être riche en amidon et la farine de la seconde mouture, celle qui provient de la trituration des parties résistantes de l’enveloppe du grain, doit être riche en gluten et plus nourrissante que la première.

Mais elle est légèrement teintée de gris. C’en est assez pour qu’on la refuse à Paris. On en faisait autrefois, non pas du pain bis, mais un pain qu’on appelait bis-blanc : une nuance presque imperceptible le distingue du pain blanc. Il est plus nourrissant, il coûte 0 fr. 15 de moins par 4 livres ; mais personne n’en veut.